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13h42
Nous sommes le 23 septembre. Je me suis fixé, aujourd'hui même, un délai de cent jours pour trouver un remède au mal que j'ai provoqué. Laps de temps plus symbolique que statistique. Chaque date rayée renforcera davantage ma motivation.
Je consignerai, en ce journal, toute étape digne d’intérêt. Espérons que le compte à rebours perde de son attrait au plus vite…
Enonçons avant tout le problème posé :
En tant que Docteur en biologie, je suis parfaitement conscient que la théorie de l’évolution, telle que décrite par Darwin, est un processus extrêmement lent, s’étalant sur de très nombreuses générations. Il s’avère, cependant, que, tout à fait par hasard, j’ai découvert un « catalyseur d’évolution » (ce terme impropre, je le vulgarise pour que mes écrits soient accessibles à n’importe qui susceptible d’en prendre possession). Aucune science ne semble être plus exacte que le hasard. Celui-là même qui tend la main à l’homme de science pour le mener à la découverte. Mais, comme ce fut le cas pour Oppenheimer et Einstein, « ma » découverte est bien vite devenue propriété d’Etat. Un danger, une menace supplémentaire dont l’humanité se serait bien passée. En effet, selon son code génétique, chaque individu à qui l’on inoculerait le « Catevo » développerait une aptitude extraordinaire propre à sa lignée. Ces aptitudes n’auraient pas du se manifester avant des millénaires, résultant de l’adaptabilité du vivant. Il va de soi qu’une évolution accélérée à ce point entraîne une mort tout aussi rapide… En théorie. Je suis la preuve qu’une survie, au moins à court terme, est possible. D’autres commencent également à émerger. Il semblerait que notre situation actuelle nécessite un coup de pouce de Dame Nature, ou plus précisément son indulgence.
Le gouvernement ne l’entend pas de cette oreille. Il ne voit là qu’une opportunité de dominer les forces armées mondiales, pérennisant ainsi son statut d’hyperpuissance incontestée. En effet, les aptitudes développées par de potentiels cobayes seraient inestimables d’un point de vue stratégiques. Un avantage physique et psychologique. Je ne suis pas certain, malgré tout, que les individus imberbes à huit orteils soient traités comme égaux aux surhommes à la force colossale. Pire, dans le cas où certains d’entre eux développeraient des particularités morphologiques importantes, ils risqueraient d’être mes, sans ménagement, au ban de la société. J’ai bien peur d’avoir signer l’arrêt de mort de notre espèce… Le conflit couve.
Que faire ? Par où commencer ?
97
4h06
Le premier avertissement est tombé. Un meurtre. Un assassinat, exactement. Tout le monde en parle ; même si je soupçonne que personne n’osera franchir la limite séparant l’assassin de l’administration en poste. Ce Modern-man, comme ils l’ont surnommé, est désormais seul. Comme moi. Ils vont tenter de le faire taire, de le faire disparaître. On niera qu’il ait jamais eu de réel pouvoir, il deviendra un imposteur, un bouffon.
« Les autres ne doivent absolument pas entendre parler de nos expérimentations, se les approprier. Les Etats-Unis seront la seule et unique nation souveraine, choisie par Dieu. L’héritage de notre Manifest Destiny ! »
Quels foutus connards ! La machine est enclenchée, les catastrophes vont se succéder à grande vitesse. Ils ne pourront rien gérer. Rien !
« It’s now or never… »
L’acquisition de telles aptitudes s’avère terriblement perturbante. La plupart des individus touchés ne sont pas armés pour affronter un tel choc. Leur corps change, cependant, aucun manuel de biologie ne leur expliquera que tout est normal, que leurs craintes n’ont pas lieu d’être.
Selon toutes vraisemblances, le suspect est complètement dépassé par les récents bouleversements ; il n’est plus lui-même. A des difficultés à évaluer ce qui est moral et ce qui ne l’est pas, à différencier le réel du fictif. Peut-être a-t-il aussi cédé à l’ivresse. Je me dois de lui venir en aide. Je le comprends, je suis responsable de sa souffrance. Je suis responsable de ses actes.
Mon Dieu ! J’ai brisé un homme ! Et combien d’autres. Comment ai-je pu ne pas en prendre conscience avant ?
« It’s now or never… »
Il est bien plus aisé de détruire. Plus grisant aussi…
« Tomorrow will be too late… »
Le problème, c’est que je me suis dynamité le foie, j’ai ferré une truie que j’ai baisée sans capote et tout le pays se réveille séropositif.
« My world won’t wait. »
95
12h37 :
Mon matériel, déjà en nombre restreint, a subi de sérieux dégâts. Je ne sens quasiment plus mes membres. Je les contrôle tout en ayant l’impression d’actionner des tas de chair amorphes ; je n’ai aucune maîtrise de la pression exercée sur les objets. Lorsque je suis capable d’en exercer une.
Je fus fort optimiste en me donnant 100 jours. Il me faut des résultats au plus vite et, pour cela, des expériences concluantes. Les protocoles préliminaires peuvent être réalisés avec les instruments dont je dispose. Probablement…
Reste à trouver un second sujet (un seul n’a jamais été suffisant). Sujet tout désigné, en l’occurrence. Mais comment l’approcher ? Il va me falloir sortir d’ici…
Non, pas encore ! C’est au-dessus de mes forces. Tous ces… étrangers. Comment savoir s’ils ne sont pas avec ces salopards ? Ils doivent être à l’affût, guetter le moindre faux pas.
Rester cloîtré ici relègue pourtant tout espoir au fin fond de la boîte de Pandore. Fais abstraction des conséquences potentielles ! Faufile-toi en dehors de la caverne pour atteindre la lumière !
Le trouver ne sera pas difficile. Les média le traquent, la piste ne demande pas un flair exceptionnel. D’un autre côté, cette exposition est à double tranchant. Je ne peux risquer une couverture de People Trash ou je ne sais quel autre torchon. Et lui ne pourra pas disparaître aussi aisément, au beau milieu de dizaines de photographes et de presque autant de flics. De plus, le temps m’est compté avant qu’il ne l’inculpe.
13h28 :
D’après mes informations, ce type peut reproduire n’importe quelle structure atomique avec laquelle il entre en contact. Il suffit donc de l’approcher d’assez près afin de lui fournir un échantillon. Une vieille fripe, ma barbe de plusieurs semaines et une hygiène minimale me garantiront une indifférence totale. Ses aptitudes feront le reste.
Après réflexion, j’en suis venu à la conclusion que la liquéfaction était la solution la meilleure option. Ainsi que la plus risquée. Je ne suis pas certain qu’il en soit capable. Et s’il en est capable, qu’il y survive…
J’ai également décidé de ne pas lui demander son consentement, ni même de l’avertir. Sa réaction demeure imprévisible. Le mercure m’a semblé être l’élément idéal pour cette « extraction ». Facilement transportable dans un thermomètre, rapidement accessible en brisant celui-ci. Seul le contenant reste à trouver.
Sensation étrange, sentiment ambivalent : je ne contrôle plus rien.
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