Discussion: Marche funèbre
Afficher un message
  #39  
Vieux 01/05/2009, 22h37
Avatar de Steuf !
Steuf ! Steuf ! est déconnecté
Sardou & les tapas member
 
Date d'inscription: janvier 2008
Messages: 7 973
Steuf ! change la caisse du Fauve
Episode 5

Citation:
« - Ma Dame, je ne tolèrerai plus ces attitudes à ma cour ! »

Dame Aimerud ne répondit pas. Philippe l’Agile était entré en trombe dans la chambre maritale et s’était posté devant elle, les mains sur les hanches. La châtelaine continua de s’occuper de sa toilette comme si le Seigneur n’était pas là.

« - J’aurais du prévoir dès le soir de nos épousailles que vous ne me causeriez que du tort. Votre peuple n’est qu’un ramassis d’enfants égoïstes, vous n’êtes bon qu’à vous adonner à vos diableries ! Vous osez me toiser alors que j’ai défendu votre honneur face à ce fichu capitaine ! »

A ces mots, Aimerud sentit une rage sourde se propager dans tout son être.

« - Me prendriez-vous pour une idiote, Mon Seigneur ? Mon honneur, vous l’avez trainé dans la boue ! A aucun moment de son exposé ce militaire ne m’avait mise en cause, et vous m’avez délibérément accusé afin de couvrir je ne sais quelle manigance ! »

Philippe agrippa le poignet d’Aimerud et ficha son regard noir dans le sien. Il se mit à parler à voix basse.

« - Je vous conseille de tenir votre langue, espèce de petite trainée païenne ! Comprendrez-vous un jour que malgré notre alliance, vous n’êtes et ne serez jamais sur vos terres ici ? Pour mes sujets, votre vie n’est rien. Ils vous tolèrent car j’ai su leur expliquer que l’alliance entre nos deux contrées serait bénéfique à long terme, vous mourriez qu’ils n’en porteraient même pas le deuil. Rappelez-vous cela si vous souhaitez vivre. En ces terres je puis tout me permettre, votre intégrité physique dépend de ma volonté. Un seul claquement de doigt, et plus personne ici ne se souviendra de Dame Aimerud de Fragelongue. »

Le Seigneur desserra son emprise et quitta la pièce.

Dame Aimerud se mit à frissonner.


---


« - Vas-tu donc rentrer bougre d’enfant ? »

Voilà bientôt un quart d’heure que Tom ignorait les appels de sa mère. Il savait que cela lui vaudrait une belle correction, mais la tâche à laquelle il s’affairait était bien trop importante. Il avait passé la plus belle partie de l’après-midi à creuser un réseau de galeries souterraines dans la neige. Il ne lui restait maintenant plus que quelques efforts avant d’atteindre les fourrés et pouvoir dignement appeler ce couloir « un passage secret ».

Le garçon attint rapidement la surface et finit son œuvre d’un coup de tête. Les cheveux enneigés, il scruta alors les alentours. C’était parfait. Avec un peu de chance, il gèlerait cette nuit et le froid consoliderait son labyrinthe. Il s’extirpa sans difficulté de son terrier et constata qu’il risquait ne de pas pouvoir profiter de ce lieu pendant quelques jours. Il neigeait abondamment et la nuit semblait être tombée depuis un bon moment. Ses parents lui feraient passer l’envie de trainer aussi tard, c’était certain. Il préféra chasser cette pensée désagréable encore un instant afin de profiter de la satisfaction du travail bien fait.
Soudain, Tom remarqua un attroupement sur la petite plaine qui le séparait de sa chaumière. Une douzaine de personnes semblaient errer sans but dans la neige et bizarrement, aucun d’entre eux n’avait prévu d’emporter une torche avec lui. Les différentes tailles qui composaient cette troupe de silhouettes lui firent comprendre qu’il n’était pas face à des brigands : Il y avait là des hommes, des femmes, ainsi que des enfants. Mais que faisaient-ils donc en pleine nuit et par ce temps? Ils n’étaient pas assez habillés pour parer à ce froid et pourtant aucun d’eux ne semblait en pâtir. Peut-être était-ce une de ces tribus de manants qui vivent par les routes et se serait laissé surprendre par le temps.

L’enfant se décida finalement à s’approcher d’eux. De toute façon, ils ne semblaient pas vouloir lever le camp, et s’il voulait rentrer chez lui, il devrait leur faire face. Si l’un d’entre eux tentait quoi que ce soit contre lui, il lui suffirait de hurler afin d’alerter son père. Il prit sa posture la plus fière, se mit à siffler sans entrain l’air le plus joyeux qu’il connaissait et avança d’un pas ferme vers ces gueux.

Certains membres de la troupe le remarquèrent. Lentement, sans aucun geste brusque, ils pivotèrent en sa direction comme s’ils avaient toujours voulu suivre celle-ci. Leurs démarches étaient lentes mais chacune possédait une caractéristique bien à elle : Celle du grand était lourde, ses pieds creusaient deux sillons réguliers. Celle de la petite bonne femme était claudicante, l’ensemble de son corps ne semblait servir qu’à trainer une jambe affreusement tordue. Etait-ce des lépreux ? Son père lui avait toujours dit d’éviter ces gens-là. Il suffisait que l’un d’entre eux pose une main sur votre épaule et vous étiez condamné à devenir une de ces abominations.

Tom décida de stopper sa marche. Il resta droit comme un piquet face à ces ombres qui maintenant se dirigeaient toutes vers lui. Il pensa un instant que cette stratégie était la meilleure, avec celle-ci un chat arrivait le plus souvent à calmer les ardeurs des chiens les plus féroces. Personne dans la meute ne sembla pourtant s’en émouvoir. Lorsqu’il put distinguer le visage de celui qui ouvrait cette marche, il ne réussit pas à hurler.

La moitié du visage de l’homme semblait avoir pourri. Tom avait déjà vu des lépreux lors de foires au fort, et celui-ci n’en était pas un. A certains endroits, on pouvait distinguer l’os de son crane et des vers s’échappaient de sa bouche qu’il semblait avoir le plus grand mal à garder fermée. Sans réfléchir, le garçon tourna les talons et s’enfuit en direction du bois.

Chacune de ses enjambées était accompagnée d’un sanglot. Mais pourquoi diable n’avait-il pas appelé au secours ? Il courrait dans ce bois sans aucune idée de l’endroit où il pouvait trouver refuge. En plus les arbres cachaient presque totalement la lumière de la lune et sa course devenait de plus en plus ardue. Sur sa gauche, il crut distinguer de nouvelles silhouettes qui lui emboitèrent le pas. A droite, un long gémissement grave se fît entendre. Il y’en avait donc partout dans ce bois ! Il tenta donc d’accélérer sa cadence. Malheureusement, son pied droit se prit dans une racine dépassant du sol, et avant de s’écrouler dans un cri, Tom crût entendre un craquement dans son membre.

L’enfant tenta de se relever, mais la douleur qui irradiait le long de sa jambe le renvoya à terre aussi sec. D’autres ombres apparurent tout autour de lui et s’approchèrent avec un peu plus d’entrain. Il put distinguer des plaintes qui semblaient trahir une certaine impatience. Une première masse se laissa tomber sur son abdomen, ne lui laissant plus aucun espoir de fuite. Le choc lui coupa le souffle et l’empêcha de hurler lorsque la chose lui brisa trois doigts comme pour les arracher de sa main. Une autre créature s’était assise au niveau de ses jambes et entreprit de sectionner la seule chair qui retenait son pied du reste de son corps. Le garçon crût mourir sous l’onde de douleur, mais ce n’était rien comparé à l’idée de ne pas savoir par qui il était démembré. Ce fût d’ailleurs la dernière pensée qu’il eut avant de s’évanouir.


---


« - Nous ne sommes désormais plus désiré dans l’enceinte du château. »

« - L’avons-nous été depuis notre arrivée ? »

Le Sergent Hardi comprit au regard noir du Capitaine de Seine qu’il aurait pu se passer de ce trait d’humour. Celui-ci était entré dans la taverne sous le regard médusé des habitués et s’était assis à la table du Sergent et Renan. Il se tourna vers l’aubergiste et commanda trois choppes.

« - Le banquet de ce soir fut catastrophique, et j’avoue en porter quelque peu le blâme. J’ai manifestement sous-estimé le Seigneur Philippe. Ce paysan a réussi à m’imputer un incident diplomatique qu’il a lui-même provoqué. »

« - Quand quittons nous le Fort ? » se risqua Hardi.

« - Vous quittez le Fort dès ce soir, Sergent. »

« - Ce soir ? Mais avez-vous vu qu’une tempête de neige se préparait ? Comment voulez-vous que nous réussissions à atteindre le Duché en vie ? »

« - Nous ? Ai-je donc parlé de nous ? Vous êtes le seul à partir. Enfin presque. Je pense que nous allons avoir besoin de certains de vos talents pour emmener Jehan la Jambe avec vous. Si nous le laissons encore une nuit dans ces geôles, je suis sûr qu’il sera sur un bûché demain dès la première heure. »

« - Et nous, qu’allons-nous faire ? Lorsque le Seigneur Philippe aura eu vent de l’évasion de mon père, je ne donne pas cher de nos vies. »

En réponse à Renan, de Seine eût un sourire malicieux.

« - Si tout se passe comme je l’ai prévu, demain nous serons les nouveaux maîtres du fort. »


---


« -Grand’ père, cesse ces enfantillages, je t’ai déjà dit que ta soupe n’était pas encore chaude ! »

Jacques Chevales répondit à sa petite-fille d’un grognement impatient.

Le vieil homme savait pertinemment qu’il ne gagnerait rien à éprouver les nerfs de son unique compagnie. Mais la frustration que lui provoquait la jeunesse insolente de la jeune femme le poussait à agir ainsi. Voilà presque quatre ans qu’il avait perdu l’usage de son corps ainsi que de la parole. Il travaillait à ses champs par une belle journée d’avril lorsque la chose arriva. Sur l’instant il eut vraiment peur de mourir, aujourd’hui il regrettait d’avoir survécu. Tout cela était arrivé sans bruit, comme le Tout-puissant sait si bien provoquer les plus horribles drames. De ce jour-là, il devint un fardeau pour sa fille, puis, après la mort de celle-ci lors d’une mauvaise chute dans la rivière, celui de sa petite-fille.

Pourtant, Clotilde était une perle. Elle s’occupait de lui sans jamais lui montrer le moindre signe d’amertume. Elle restait une jeune femme joviale, et malgré sa beauté, refusait toutes avances des jeunes paysans de la région. Elle acceptait son sort sans regret, elle aimait son grand-père, voilà tout. A ces pensées, Jacques eut envie de pleurer, mais le sourire de la jeune femme lui fit reprendre ses esprits.

La soupe était prête ! Clotilde tenait le bol bien chaud et s’apprétait à parler, lorsqu’un craquement de bois se fît entendre. La jeune femme fronça les sourcils et tendit l’oreille, mais aussitôt la porte et les deux fenêtres explosèrent. Une nuée de monstres répugnants, des pantins à forme humaine envahirent la petite pièce.

La jeune femme poussa un cri. Toute la meute se jeta sur elle et se la disputa comme des chiens les tripes d’un porc. Jacques regarda impuissant sa dernière descendante se disloquer suite aux assauts répétés des créatures.

Les choses prirent le temps de dévorer entièrement Clotilde. Jacques n’eut pas d’autre choix que de les regarder. Leur œuvre terminée, ils quittèrent lentement la chaumière sans même s’intéresser au vieil homme. Quand la pièce fût complètement vide, Jacques laissa sortir un râle qui s’apparentait à un hurlement. Mais aucun de ces monstres ne revint pour terminer la besogne.


---


« A jointes mains vous proie,
Douce Dame Merci,
Liés suis quand vous vois,
A jointes mains vous proie,
Ayez merci de moi,
Dame, je vous en prie,
A jointes mains vous proie,
Douce Dame Merci. »


Le Seigneur Philippe chantonnait dans les couloirs qui le menaient aux geôles. Belle soirée que celle-ci ! Il avait réussi tour à tour à désavouer sa femme, l’autorité du Duc, et ses hommes avaient réussi à retrouver la sorcière et à la capturer. Il organiserait une belle exécution demain. Il brulerait cette putain et le vieux la Jambe à la gloire du Seigneur. Ensuite il mettrait cette racaille de Capitaine aux arrêts. Le Duc aimait cet homme, Ce serait un excellent otage lorsqu’il déclarerait sécession au Duché.

Le garde en faction se mit au garde-à-vous et lui indiqua la cellule du fond. Philippe avança calmement et vit enfin sa prisonnière. C’était une belle jeune femme, ses yeux et ses cheveux étaient noirs, elle était certes un peu maigrelette mais les courbes de son corps éveillaient l’appétit sexuel du Seigneur. Il avait d’ailleurs ressenti cette attirance dès leur première rencontre. Mais il était homme de foi, et toucher à cette chair impie l’aurait mené droit en enfer, il le savait bien.

« - Je te retrouve enfin ! Ou pensais-tu donc aller hérétique ? »

« - Sale chien hypocrite ! Je savais très bien que tu essaierais de te débarrasser de moi une fois obtenu ce que tu voulais ! »

« - Alors pourquoi m’avoir aidé, Putain ? Sûrement pour pouvoir t’adonner à tes pulsions diaboliques … »

La femme éclata de rire.

« - Pourquoi ? Philippe, en faisant appel à moi, tu as ouvert des portes dont tu aurais du même ignorer l’existence. Je ferai de ta terre une terre de mort et de désolation. N’entends-tu pas déjà la marche funèbre qui se joue en ton honneur ? Tu as cru te servir de moi alors que tu étais mon instrument, Philippe… »

Le Seigneur senti monter la colère en lui.

« - Garde ! Ouvrez la grille ! »

Quand plus rien ne le sépara de la sorcière, Philippe prit le gourdin du garde et se mit à frapper le visage de la femme. Celle-ci riait bruyamment malgré les coups violents que lui assénait le Seigneur. Quand le rire stoppa, il continua à frapper encore quelques bonnes minutes. Il se redressa enfin et ordonna au garde :

« - Brulez-moi cette chose. »

Il sortit des geôles, toute trace de joie avait disparu en lui.
Réponse avec citation