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Vieux 06/12/2007, 23h15
Avatar de Ben Wawe
Ben Wawe Ben Wawe est déconnecté
Dieu qui déchire sa race
 
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Ben Wawe met la patée à GalactusBen Wawe met la patée à GalactusBen Wawe met la patée à GalactusBen Wawe met la patée à GalactusBen Wawe met la patée à GalactusBen Wawe met la patée à GalactusBen Wawe met la patée à GalactusBen Wawe met la patée à GalactusBen Wawe met la patée à GalactusBen Wawe met la patée à GalactusBen Wawe met la patée à Galactus
Hop, je ne suis pas très doué pour les récits joyeux mais j'ai eu une inspiration subite. Je ne sais pas ce que ça vaut, mais je pense avoir été au plus proche de la notion de "joie", et je crois avoir bien intégré les contraintes.



« If there's something strange in your neighborhood
Who you gonna call?
Ghostbusters!»

La chanson est à peine entamée que la dizaine de personnes sur la piste de danse commence déjà à exploser de joie et à pousser des cris qui se veulent artistiques. Ils chantent, ou du moins essayent. D’habitude, je me serais moqué de cette bande d’ados attardés qui se déhanchent comme si ils avaient vingt ans alors qu’ils en ont dix de plus et des kilos en trop. Généralement, je serais là, un verre de vodka à la main, lançant des vannes crasseuses et bêtement méchantes pour tenter de me faire bien voir de ma cour et croire que je suis meilleur que ces gens. En temps normal, je dirais que tout ça n’est que la représentation de la dégénérescence de notre société et que le monde court à sa perte à cause de l’infantilisation voulue par les gouvernements, qui en profitent pour nous manipuler et détruire la planète.
Oui, d’habitude, j’aurais été un gros con. Mais pas ce soir. Ce soir, c’est la fête et je me fiche de ce que je suis le reste du temps. Ce soir, je me sens bien.

Je souris en regardant mes anciens camarades se rappeler leur jeunesse et leurs délires alors que Ray Parker Jr se défonce sur scène. Pauvre vieux. Ce type n’a fait en gros qu’un seul tube dans sa vie, et il essaye de vivre dessus depuis. C’est dur, la vie d’artiste. Il doit se payer toute l’année des soirées de ce genre pour s’en sortir et payer ses dettes. Il est sûrement alcoolique ou pas loin, et doit payer une pension alimentaire à son ex femme. Un truc du genre.
Ce n’est pas étonnant, au fond. Beaucoup d’anciennes stars deviennent ainsi quand les gens décident qu’ils sont passés de mode. Ils sont comme des mouchoirs : on en a besoin un temps, on les affectionne sur le moment, mais dès qu’on n’en a plus besoin…on les jette. Et eux essayent de survivre. Pauvre vieux. J’en pleurerai presque si j’en avais quelque chose à faire.

Nan. Pas de ça ce soir. Pas de pensée déprimante. Pas de cynisme ou d’humour noir. Ce soir, je ne suis pas le glandeur qui traîne dans les soirées parisiennes avec sa cour, ce bobo imbécile qui ne vit que par ses phrases piquantes et qui fait croire à tout le monde qu’il est Grand parce qu’il a de la culture. Non. Ce soir, je suis simplement l’ado attardé qui survit au fond de moi et qui ne demande qu’à sortir. Je suis comme ceux qui font poindre un sourire sur le visage de Ray quand il voit que tout le monde aime ce qu’il chante, ce qui ne doit plus lui arriver aussi souvent.
Ce soir, je suis juste moi. Et ça fait du bien.

Je suis heureux…et ça fait des mois que ce n’est plus arrivé. Voir plus. Je pensais m’ennuyer comme un rat mort ici, mais ce n’est pas le cas. C’est une soirée d’anciens étudiants de la fac, promotion 97. La moitié ici s’est arrêtée au DEUG, je suis un des seuls à être allé plus loin. D’habitude, je fais bien sentir aux fantômes de mon passé combien je leur suis supérieur, combien j’ai une vie meilleure que la leur avec mes diplômes, mon superbe appartement…mais pas ce soir. Ce soir, je souris juste, je danse un peu, je plaisante et je bois. Du jus d’orange. Pour une fois.

La vie est belle, ici. Un ancien camarade a organisé cette soirée il y a quelques mois, et je ne suis là uniquement parce que mon projet d’aller dans l’appartement d’un ami pour boire et payer des putes pour se déhancher devant nous est tombé à l’eau…le pauvre vieux est à l’hôpital, une overdose. Pauvre mec. Je devrais lui envoyer quelque chose, demain. Peut-être de la farine, pour déconner. Ou pas.

Je ne sais pas pourquoi, mais je n’ai pas envie d’être méchant ou stupide, ce soir. Marre d’être égoïste. Marre d’être con. Marre d’être arrogant. Marre d’être un branleur. En regardant ces gens danser, je pourrais me dire combien ma vie est nulle, combien je suis passé à côté du bonheur. Ok, je gagne plein de fric, mais je ne suis pas heureux : je me drogue, je bois, je n’ai pas de vrais amis, mon boulot me bouffe tout mon temps et je pleure chaque soir parce que je veux mourir.
Eux…eux sont biens. Ils n’ont pas tout ce que j’ai, mais ils ont bien plus. Presque tous sont mariés et ont l’air heureux. D’accord, ça ne doit pas être facile tous les jours, mais au moins ils ne sont pas des loques comme moi. Ils sont des gens normaux. Ils sont des gens biens qui, même si ils font un peu attardés ce soir à danser sur une chanson vieille de vingt ans et à parler de dessins animés qu’aucun jeune actuel ne connaît, devraient normalement me rendre jaloux.

Mais ce n’est pas le cas. Je suis heureux, ici. Avec eux.

Il est deux heures du matin. Je ne suis pas bourré. Je ne suis pas drogué. Je ne suis pas entre les jambes d’une immigrée roumaine ou sud-américaine priant pour que je finisse vite. Je bois du jus d’orange en discutant avec des gens gros, pas très beaux, pas toujours intéressants mais gentils. Je rigole de choses bêtes, mais simples. Je parle de mes souvenirs, de la période universitaire, de mes délires, de nos conneries…de l’âge de l’innocence.

Je revois d’anciens amis, avec qui j’étais comme frère mais que j’ai abandonné depuis. Ils ne m’en tiennent pas rigueur, et parlent avec moi comme si rien n’avait changé. Je souris à une fille qui me répond alors que je l’ai fait pleurer jadis. Elle m’avait proposé de sortir un soir, et tout ce que j’avais trouvé à répondre, c’est que je n’avais aucun intérêt à lui parler vu qu’elle n’avait pas d’amies jolies, car « il n’y a qu’un seul cas où il est convenable d'aborder une femme laide : c'est pour lui demander si elle ne connaît pas l'adresse d'une jolie femme ». J’étais déjà con, à l’époque. Je n’ai fait qu’empirer, depuis.

En regardant tous ces gens, je pourrais déprimer en me demandant ce que dirait le gosse que j’ai été, celui dont le cœur vibrait devant Ghostbusters, avec son ours en peluche en rêvant d’aller aider Ray et les autres en tuant le monstre avec son positroneur nucléaire. J’étais un gamin quand j’ai vu ce film pour la première fois, et j’ai été de suite fan. Qu’est-ce qu’il dirait, ce petit garçon, en me voyant maintenant ? En voyant la loque qu’il est devenu ?
Il ne serait pas content. Il pleurerait. Et normalement, en me rendant compte de ça, en voyant ces gens heureux comme je ne le serais jamais, je devrais aussi faire ça. Je devrais aussi m’écraser et me dire que j’ai raté ma vie…ce qui est le cas, quand même. Mais je ne réagis pas comme ça. Au contraire, je me sens…bien.

Je me sens chez moi, ici. Je me sens entier. Enfin. Depuis tant d’années, je suis à la recherche de quelque chose. Une partie de moi me manque, et j’essaye de la retrouver dans l’alcool, le travail, la drogue, les fans, le cynisme…mais ça ne fonctionne jamais. Je n’ai jamais rien trouvé, à part le néant de mon existence et l’inutilité de mes actes. Et ce soir…ce soir, je comprends enfin ce qu’il me manque tant. Je sais ce que j’ai perdu et ce que je recherche depuis si longtemps.

L’âge de l’innocence.
Ce moment où j’étais un simple adolescent rêvant de changer le monde, de marquer l’Humanité de mon empreinte. C’est pour ça que j’ai voulu faire tant d’études…pour devenir quelqu’un, pour avoir de l’importance et faire quelque chose. Je voulais révolutionner la société, la rendre meilleure, en chasser les monstres. Je suis devenu un de ces parasites qui profitent du monde et des gens et qui se détruisent peu à peu. Je suis ce que je voulais détruire.

C’est triste, mais ce soir…ce soir, je sens que tout n’est peut-être pas perdu.

Je suis au milieu de ceux qui ont façonné l’adolescent que j’étais. Je suis au milieu de ceux que je ne voulais jamais perdre de vue, jadis. Je suis avec les personnes qui comptaient le plus pour moi, mais que j’ai éloignées. Et je me sens bien, tout simplement. Rire à des choses vaguement drôles, être gentil, faire des efforts, s’amuser tout simplement…ça me manquait. Ils me manquaient.

Ce sont mes amis. Mes frères, mes sœurs, mes amours. Je les ai perdus de vue pendant dix ans, et je suis devenu…autre chose. Mais c’est fini, je crois. Je me rends compte que tout ça, ce n’est pas moi. Être con, bête, méchant…nan, ce n’est pas moi. J’ai été ainsi car je voulais me fondre dans la masse. J’ai été comme ça car je n’ai pas osé aller dépasser mes limites et changer les choses, comme je voulais le faire. Et je sais pourquoi j’ai été ainsi : car ils n’étaient plus là. Car j’étais tout seul.

Oui, ce soir, je suis heureux. Je suis de nouveau moi. Je suis avec mes amis, au beau milieu de la mer, sans alcool et à m’amuser simplement. J’ai joué à l’adulte blasé pendant dix ans alors que je suis toujours un gosse, comme eux. Je me suis caché dans ce costume parce que j’étais seul et que j’avais peur. Mais c’est fini, maintenant.
Il est temps que je reprenne les commandes. Que je refasse des conneries. Que je sourisse. Et que je sois heureux. Comme ce soir. Comme quand je suis avec eux.

Ray finit sa chanson et est acclamé. Les larmes perlent à ses yeux. J’applaudis violemment dans mes mains. Il le mérite. C’est un vieux monsieur qui n’a pas souvent l’occasion d’être autant apprécié. Merci, Ray. Tu as marqué mon enfance par ta chanson, et j’espère que tu t’en sortiras. J’espère que je m’en sortirai, aussi. Mais je crois que oui.

Ce soir, je me rends compte de ce que je suis et de ce que je veux être…et ne plus être. Je veux être heureux, comme maintenant. Je veux rire, m’amuser et laisser sortir l’homme que je suis vraiment. Cette soirée devait être ennuyeuse. Elle est finalement révolutionnaire et extraordinaire. Elle me fait sourire et me fait changer. C’est quand même mieux que quelques heures passées avec de la drogue et des putes. Et surtout…c’est moins cher.