Toujours en proie à ses délires paranoïaques, Rotgut déambule dans la rue soupçonnant chaque personne, chaque chose d'être porteur d'une maladie qui le tuera à petit feu.
Au détour d'une rue, en plein délire, il s'en prend à une femme avec une jambe cassée et la poignarde sans qu'elle puisse se défendre.
Pendant ce temps, la mère de Rotgut a maille à partir avec le propriétaire de l'immeuble qui vient réclamer son loyer mais qui reste sourd à ses réclamations concernant les fuites de gaz de l'immeuble.
A sa grande surprise Daredevil intervient et persuader de façon musclée le proprio de répondre à ses obligations. Pour le remercier, la vieille femme lui offre des gâteaux. Daredevil quitte l'appartement et Rotgut qui attendait dans la pièce d’à coté, sort enfin pour se réfugier dans sa cave ou il ressasse ses angoisses et ses souvenirs d'enfant.
Quelque temps plus tard, Matt et Karen s'apprêtent à sortir pour diner avec Hilda la serveuse du café mais son nouveau petit ami préfère reporter l'invitation à plus tard pour passer la soirée avec elle. Les deux couples se séparent à une intersection mais quelque temps plus tard, Boffo le petit copain d'Hilda revient seul & hilare. Il explique qu'Hilda l'a charge d'un message pour Matt : elle a aperçu le dingue du resto qui parlait d'hamburgers empoisonnés et l'a suivi.
Boffo n'a rien compris mais Matt sais de qui elle parle et du danger qu'elle court actuellement.
Effectivement, Hilda est dans le sous-sol de l'immeuble de Rotgut et assiste incrédule à la préparation de son plan : empoisonner la distribution d'eau pour tuer ses locataires.
Elle sort de sa cachette pour s'interposer mais Rotgut la menace d'un couteau. Avec son "scalpel", il compte ablater le mal qu'elle représente elle aussi.
Aux aguets, Daredevil repère le souffle rauque d'Hilda et se rend vers le sous-sol suivi sans le savoir par les fat-boys.
A peine arrivé sur place, DD se fait piégé sous des vieilles pièces métalliques de chaudière et Hilda a à peine le temps de l'alarmer sur le poison qu'elle est assommée.
Heureusement pas loin derrière, les Fats ont tout entendu et courent prévenir la police et les habitants de l'immeuble de ne pas boire l'eau. Un des garçons tombe sur le logement du proprio que le rabroue sans ménagement. Par vengeance, l'enfant ne lui dit rien et le laisse boire le verre d'eau qu'il tenait à la main.
Dans le sous-sol, enfin dégagé de sa gangue de métal, Daredevil tente de maitriser Rotgut qui lui explique qu'ils sont semblables car ils cherchent tous les deux à rendre le monde plus sur.
Le délire de Rotgut est à son paroxysme quand sa mère arrive dans la cave. Elle découvre que l'empoisonneur dont elle a été avertie est son fils, l'accuse d'avoir voulu la tuer et le désavoue.
Complètement désemparé, Rotgut tente de se suicider avec son couteau. DD l'en empêche et il conduit vers le fourgon de police au dehors. Sa mère est en pleurs et cherche à convaincre DD que son fils est un bon garçon.
La police félicite DD, un drame a été évité : une seule victime est à déplorer, le propriétaire de l'immeuble. Son corps couvert d'un linceul git sur le trottoir en attente de l'ambulance. Devant lui, le petit garçon qui l'a laissé boire et qui se dit que rien ne sera plus jamais comme avant.
C'est mon avis et je le partage :
En deux épisodes, Ann Nocenti vient de poser sa marque sur la série. Cette histoire est un condensé d'une bonne partie des thématiques qu'elle développera durant son run. L'enfance La Folie. La Pollution au sens large du terme.
Mais à l'inverse de son exploitation dans les épisodes futurs, Ann n'utilise vraiment pas le thème de pollution pour le dénoncer (comme elle le fera dans la suite de son run) mais pour son aspect anxiogène.
En créant Rotgut, elle concentre en un seul personnage toutes les peurs inhérentes au sujet.
Il est effrayé de tout ce qui mettrait sa santé en danger mais également de ce qui peut altérer son environnement, son pays et sa race. Pêle-mêle on y trouve Sida, alcool, tabac, bactéries, infection, contagion, virus, radioactivité, vieillesse, pauvreté, junkfood, microondes, sucre, sodas, dégénération de l'espèce humaine, viande aux hormones, abatage du bétail, emballages plastiques, moustiques, rats, pigeons, rayons solaires, couche d'ozone & plombages dentaires.
Rotgut est symptomatique de craintes qui ont vu leur naissance dans les années 70's pour se développer dans les 80's où à coups de scandales sanitaires et écologiques, de révélations des menaces sur la planète et de légendes urbaines incontrôlables, la méfiance envers le monde dans lequel nous vivons.
Ce personnage est un quasi-opposé du Man without fear. Une autre version de Mr Fear en quelque sorte. La où DD met consciemment sa vie en danger et où il sort des limites confortables que la vie pourrait lui offrir, Rotgut craint le simple quotidien et se terre dans un sous-sol.
D'un autre coté, comme Rotgut l'affirmera, tout les deux cherchent à se débarrasser des éléments qui menacent la société.
Loin de se contenter d'une vision manichéenne et simpliste, Nocenti joue principalement sur les contradictions des protagonistes. La mère de Rotgut qui accuse les sucreries de tous les maux mais qui en confectionne, qui rejette son fils en le traitant de mauvais pour dire à DD combien elle l'aime quelques instants plus tard.
Et surtout Rotgut qui par ses origines ethniques et son physique est une contradiction ambulante. Noir albinos, à aucun moment, il n'évoque sa maladie qui lui confère à la fois symboliquement une aura de pureté mais également le rend plus fragile puisque les personnes atteint d'albinisme sont plus sujettes au cancer de la peau.
Ils ont également une vue déficiente ce qui pourrait s'ajouter à la métaphore mais cet aspect n'a pas du être envisagé par Nocenti.
Les relents racistes de Rotgut sont à mettre en parallèle de l'ostracisme dont sont victimes à la fois les albinos notamment en Afrique où la différence de couleur de peau est encore plus marquée mais surtout et tout simplement du racisme envers les afro-américains.
Le plus remarquable est que cela n'est jamais évoqué par la narration qui laisse le lecteur prendre conscience de l'ambigüité de sa situation.
Rotgut en vole la vedette à Daredevil et on ne peut que regretter qu'il ne soit jamais réapparu.
Le récit n'est pas sans défaut mais cela reste une des plus belles histoires écrites par Nocenti durant son run.
Aux crayons, Louis Williams fait preuve d'un talent certain. Après un numéro de chauffe au # 237, il montre une grande aisance avec le personnage. Son style évoque celui de Bob Brown, parfois des touches de Miller ou Sienkiewicz ou de Leonardi. L'encrage d'Al Williamson apporte un tranché et une noirceur idéale et pour ce récit
La vision déformée de Rotgut sur les passants n'a pas sans rappeler celle du Bulseye dans les premiers DD de Miller. Vision qui s'oppose celle de Matt, tout en couleurs et rayonnements.
S'il est parfois peu à l'aise avec les scènes du quotidien, il réussit à magnifier Rotgut et son sous-sol. On pense par exemple à la chaudière-pieuvre de la première page du # 239 ou différents regards de Rotgut qui contribue à faire de ce run une vraie réussite.
"DD # 240 : "Une belle & sale histoire"