Discussion: Short story project
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Vieux 22/06/2016, 23h24
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Hilarion Hilarion est déconnecté
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Frites et chocolat...

Il est possible de vivre une enfance relativement paisible dans une campagne verdoyante affublée de noms pittoresques comme "trou du diable" et "couloir de la mort". Il est cependant recommandé de recouvrir l'odeur des charniers de chocolat noir. En réalité, la présence de la guerre trente ans plus tard se résumait le plus souvent à quelques casques allemands rouillés qui sortaient de la terre des jardins et un obus épisodique qui affleurait au milieu de la rivière locale, bien vite dénoncé - on ne se refait pas - à l'instituteur à blouse grise du cru.

Constance portait bien son nom, le périmètre de sa vie se résumant à mes yeux d'enfant à son fauteuil d'osier au coin de la cheminée de la ferme, dos à la cuisinière en fonte. Ses yeux à elle avaient depuis longtemps cessé de percevoir quoi que ce soit, sauf peut-être la danse des flammes. Ses heures près du feu l'avaient rendue ignifuge. Elle saisissait à main nue le brûlant plat de frites dominical tendu au plus gourmand de mes oncles qui hurlait alors de douleur dans l'hilarité générale. La bretonne caustique portait l'estocade d'un "T'étais bien tendre la première fois qu't' as pissé!" C'était son petit-fils préféré. Et les dimanches passaient dans les rires, les cris d'un enfant capricieux et trop nerveux, les sauces renversées et les carafes de cidre qui faisaient oublier les mains gelées à ramasser des barattés de petites pommes vicieusement dissimulées dans l'herbe grasse et trempée de l'automne normand. La nuit venue, la petite boule de nerfs avait épuisé la patience de sa mère sans cesser de courir autour de la grande table de chêne. A deux doigts de finir noyé dans l'eau de javel du seau au pied de l'horloge, deux petits bras secs le saisissaient au vol d'une inattendue fermeté. Trop intimidé pour protester, le petit garçon finissait par se lover sur les genoux de son arrière-grand-mère, se laissant gagner par la chaleur de la cheminée et des châles de laine, bientôt bercé par la mélopée apaisante de la vielle dame aux cheveux blancs vêtue de noir.

Le lundi, le calme revenu, la famille repartie vaquer à ses occupations, je toquais à la porte sur le chemin de la sortie de l'école. Constance, dans son fauteuil, accueillait son unique arrière-petit-fils, heureuse je crois de briser la monotonie du tic-tac de l'horloge et du craquement des bûches dans l'âtre. Elle m'indiquait le chemin de la grande armoire rustique, là, sur la droite au fond, sur l'étagère du milieu, où de gros carrés de chocolat noir n'attendaient que moi. Pas de grandes phrases, quelques mots, sa petite main fine dans mes cheveux. A demain.


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