Discussion: Quelques textes
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Vieux 25/01/2008, 23h12
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Ben Wawe Ben Wawe est déconnecté
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Ben Wawe met la patée à GalactusBen Wawe met la patée à GalactusBen Wawe met la patée à GalactusBen Wawe met la patée à GalactusBen Wawe met la patée à GalactusBen Wawe met la patée à GalactusBen Wawe met la patée à GalactusBen Wawe met la patée à GalactusBen Wawe met la patée à GalactusBen Wawe met la patée à GalactusBen Wawe met la patée à Galactus
Salut à tous. J'ai écris ce texte il y a presque une semaine et je n'arrête pas de le reprendre, depuis. J'ai tenté d'y glisser toutes les idées un peu dingues que j'imagine régulièrement, le tout dans une ambiance SF de monde futuriste déshumanisé (dans ce sens, ça pourrait rejoindre Paradis perdu que j'avais aimé écrire même si j'aurais peut-être pu en faire plus dessus), et je crois que le résultat n'est pas trop mauvais. J'ai vraiment essayé d'être clair et de donner un rythme à tout ça, mais je me suis surtout focalisé sur l'univers et ses caractéristiques, ici. Bonne lecture.

Le pari.

« Tu as ce qu’il faut ?
- Je crois.
- Il faut que tu en sois sûr. Tu n’as droit qu’à un essai. C’est comme la roulrus : ou c’est bon, ou c’est fini. Et ne continue pas, même si tu perds : ça n’en vaut pas la peine.
- Je sais, je sais. Pas besoin de me mettre la pression non plus.
- Désolé, mon chéri. C’est que…c’est tellement important…
- Je sais. »

Il colla sa vitre contre la sienne pour mimer un baiser sur son le haut du casque de sa combinaison et sourit légèrement, même si il avait du mal depuis que ses lèvres étaient tombées après une erreur dans son système de ventilation. Au lieu d’un air juste frais comme il l’avait commandé, la machine avait programmé une température glaciaire, comme on en trouvait en Afrique ou en Amérique du Sud. Il avait fallu attendre plusieurs longues heures avant que la maintenance du Consulat ne vienne arranger tout cela, et il n’avait donc plus de lèvres. Mais ce n’était pas le pire, au fond : il aurait pu perdre son nez ou ses oreilles. Là, ça aurait été plus problématique, même si il avait déjà entendu que les combinaisons pouvaient s’adapter pour pallier ce manque. Néanmoins, il n’était pas encore prêt à découvrir si c’était vrai ou non.

« A tout à l’heure, j’espère.
- Patlièvre, Jack.
- Trèflquatfeul, chérie. »

Il soupira et passa dans la zone d’attente entre l’extérieur et leur conapt de douze mètres carrés. Ils avaient de la chance d’avoir obtenu tout cet espace à la roulrus nationale, jadis : tout le monde savait que c’était plus que dangereux vu qu’on pouvait soit tout gagner, soit tout perdre, mais ils n’avaient alors rien à sacrifier. Quoiqu’il s’était passé, ils venaient de se marier et ne possédaient en tout et pour tout que leurs combinaisons et deux Unités : rien d’important n’aurait donc pu leur arriver. Ce jour-là, la Chance et les deux autres divinités avait été avec eux, et ils avaient ainsi hérités de cet immense conapt. Et aujourd’hui, il partait pour tenter de le garder.

Ca faisait des années qu’ils l’avaient, réussissant toujours à y rester grâce à leur pourcentage de chance annuel. La règle était simple et universelle : les gains restent la propriété des vainqueurs, du moment que ceux-ci ont au moins 56.5% de chance chaque année. C’était calculé en fonction de la chance d’avoir un métro au moment où on arrive sur le quai, en fonction d’un avancement fortuit, en fonction de tout ce qui pouvait arriver dans l’année et qui n’était pas prévu ou contrôlable par l’homme.
Le pourcentage avait été calculé par les plus grands scientifiques du Consulat, qui étaient arrivés à la conclusion qu’un Terrien normal avait 54.5% de chance dans l’année, et donc 45.5% de malchance en contrepartie. Et donc, pour que les gagnants restent propriétaires, il fallait évidemment qu’ils soient plus chanceux que les autres. Jusque là, Jack et Janice avaient réussi, mais cette année-là, ça ne semblait plus être le cas.

La porte derrière lui se scella, le coupant totalement de sa compagne, alors que celle devant lui s’ouvrait lourdement. Elle était un peu rouillée, mais la maintenance ne jugeait pas des réparations utiles, et ils devaient donc vivre en espérant qu’elle ne resterait jamais coincé. Qu’elle soit ouverte ou fermée, si elle ne bougeait plus, elle les condamnait à une mort certaine : soit par l’impossibilité de chercher à aller travailler, ce qui se soldait par une exécution par l’arrêt total des combinaisons au bout d’une journée chômée, soit par une exposition trop longue et brutale aux rayons du soleil, qui n’étaient plus arrêtés par l’atmosphère terrestre. Jadis, leurs ancêtres s’étaient moqués de l’effet de serre. Aujourd’hui, ils étaient maudits par leurs descendants pour leur stupidité.

Jack soupira et s’avança vers la plateforme qui prenait naissance à l’entrée de son conapt, et se mit rapidement à marcher vers le quai du métro. Il n’était que six heures du matin, mais déjà la température extérieure frisait les cinquante degrés : la journée serait difficile. Il lui fallait faire vite : il commençait à travailler à huit heures et demi, et il se devait d’aller faire sa course avant d’aller au boulot. Sa survie en dépendait.

Evidemment, quand il arriva sur le quai, aucun métro en vue : ça aurait été trop facile. Encore une fois, il sentit une boule au fond de son ventre, en même temps qu’il jetait un œil sur la petite sphère mécanique qui l’avait rejoint sur le chemin. Sa surface argentée était entièrement plane, à la seule exception d’une petite lentille qui n’arrêtait pas de le fixer : elle le filmait. C’était un des mouchards du Consulat, les machines qui enregistraient les faits et gestes de Jack pour permettre aux scientifiques gouvernementaux de calculer son pourcentage de chance. Là, il venait encore de perdre des points.
Cette chose le suivait n’importe où et n’importe quand, et chaque Terrien en avait une au-dessus de lui. Heureusement, le Syndicat avait réussi à l’interdire dans les conapts, et c’était une véritable bénédiction de ne pas être surveillé chez soi. Bien sûr, les caméras gouvernementales de la Protection et de la Vigilance du Consulat, la fameuse PVC, observaient tout, mais au moins elles ne vérifiaient pas le niveau de chance. Ce n’était rien d’être épié vingt-quatre heures sur vingt-quatre si on n’enregistrait pas des preuves contre vous. La vie privée n’était rien face à la vie tout court.

Le métro arriva quelques minutes plus tard, alors que Jack sentait sa combinaison subir les premiers effets de la chaleur. La température interne était toujours réglée sur « douce brise printanière », et ça commençait à ne plus être suffisant pour lutter contre les rayons du soleil qui le chauffait. Néanmoins, il n’osait pas changer la programmation. Le souvenir de ses lèvres tombant vulgairement contre la vitre de sa combinaison le fit frissonner. Il ne voulait pas revivre un autre événement du genre.
Sans un mot et subissant de plus en plus la chaleur, Jack s’engouffra donc dans l’astronef à six places qui passaient tous les quart d’heure pour transporter la population du six cent soixante-sixième étage de la Tour qu’il habitait jusqu’à l’embranchement le plus proche, où ils pourraient prendre d’autres métros. En regardant le ciel, il vit les quatre cents étages supérieurs de la Tour, plaignant ceux qui vivaient là-haut. Plus on s’approchait du soleil, plus il faisait chaud et donc plus le risque de mourir augmentait. Avec Janice, étant jeunes, ils avaient vécus à un étage huit cent cinquante ou quelque chose du genre. Même à l’époque, ça avait été dur. Il n’imaginait pas retenter ça maintenant, et sa détermination de sauver sa situation n’en fut que renforcée.

Une heure et demi plus tard, Jack sortit de son troisième métro pour déboucher sur le quai sale et mal entretenu qui était sa destination. Il était dans une des Tours les plus dangereuses de la ville, et au sept centième étage en plus. Sa combinaison n’était toujours pas adaptée à la chaleur, mais il n’avait pas le choix : risquer de changer était trop dangereux, et il le savait. Il se devait de souffrir, c’était apparemment écrit pour cette journée. Peut-être cela allait-il lui porter chance : il fallait bien que ça s’équilibre quelque part, et le moment était tout indiqué pour ça.

Il marcha rapidement devant les portes de conapts pour finalement arriver à sa destination, tandis que la température augmentait encore. C’était une vieille porte en fer qui était brûlée par endroits et qui était directement sujette aux premiers rayons du soleil, le matin. Il savait que le lieu avait été choisi exprès pour que la PCV ne vienne pas se risquer à une perquisition le matin, au moment où le soleil était le plus puissant : ainsi, les propriétaires des lieux avaient le temps de tout remettre en ordre en cas d’arrivée surprise des agents du Consulat. C’était une mécanique bien huilée, et Jack espérait qu’elle fonctionne encore ce matin-là. En soupirant, il posa sa main contre le battant de la porte et attendit que sa combinaison transfère les informations à l’ordinateur du conapt. Après quelques secondes, la porte s’ouvrit sur la zone d’attente.

Evidemment, il y entra et remarqua combien elle était sale et mal entretenue : graffitis un peu partout, déjections humaines ou animales dans les coins, interfaces brûlées par les rayons du soleil…le fait que tout fonctionne encore tenait du miracle. Ça ne le rassura évidemment pas, mais il repensa à ce qu’il risquait si il ne réussissait pas aujourd’hui, et il serra les poings pour forcer sa détermination. Il devait entrer et gagner, il n’avait pas le choix.
La porte derrière lui se ferma et la seconde s’ouvrit quelques instants plus tard. Il s’engouffra dans le conapt de cinq mètres carrés et rempli d’une douzaine de personnes. Ils étaient évidemment tous serrés, mais vu que la gravité était coupée, il y avait encore de la place pour au moins six autres joueurs. Il n’y avait donc pas foule, et ça l’arrangeait.

Jack s’approcha de la table qui était au centre de la pièce et clouée au sol par d’énormes barreaux. Un Maître du Jeu était derrière lui, collé évidemment à sa chaise elle aussi fixée sur la moquette. Les Maîtres du Jeu étaient des personnes vendues par leurs parents aux casinos et autres agences gouvernementales à leur naissance, et ils étaient fusionnés avec leurs chaises et leurs tables quelques semaines après leur vieillissement artificiel. Ils n’étaient plus vraiment humains, et n’avaient comme seul objectif que la continuation perpétuelle du jeu. A voir les cicatrices sur le visage et les membres de celui-ci, et le fait qu’il porte un uniforme du Consulat, Jack comprit qu’il avait été volé par les propriétaires des lieux. Ca ne lui plaisait pas vraiment, mais il ne pouvait pas se permettre de faire quelque chose, et il chassa donc toute sympathie et pitié de son cerveau en se concentrant sur son objectif. Il ferait bien une électro-thérapie plus tard, pour se pardonner lui-même.

Il lévita au-dessus de la table et tâcha de s’installer le plus confortablement possible avec les barres placées au plafond pour se stabiliser. Sa combinaison n’aimait pas vraiment quand il faisait trop de mouvements, mais il ne pouvait pas faire autrement. Un jour, il lui faudrait en changer, mais ce n’était pas aussi simple que ça, et les nouvelles combinaisons ne couraient pas les rues. Déjà qu’il était difficile d’équiper tous les nouveaux nés, pas sûr qu’on accepte de changer celle d’un quadra à un niveau si peu important.

Les combinaisons étaient apparues deux siècles plus tôt, quand il avait été clair que les rayons du soleil étaient devenus trop violents et trop incontrôlables. Beaucoup de solutions possibles avaient été proposées pour protéger la Terre des conséquences de l’effet de serre, mais aucune n’avait fonctionné, et on en était donc venu à la conclusion qu’il fallait se résigner à une protection individuelle, permanente et quelque peu horrible. Désormais, toute la population terrienne était équipée dès la naissance de sa combinaison, qui avait une relation symbiotique avec l’être humain : elle grandissait en même temps que lui, lui fournissait l’air qu’il nécessitait, recevait la nourriture qui lui était transmise pour l’injecter dans le corps de son hôte, etc.
La combinaison était pratiquement devenue le véritable corps de l’Homme, mais elle n’était pas sans désavantages : à cause d’elle, la reproduction était faite artificiellement et l’amour physique était prohibé, mais le pire était surtout qu’elle contrôlait totalement la survie de son propriétaire. En effet, en cas de panne, il ne pourrait survivre longtemps étant donné qu’il dépendait totalement d’elle, mais surtout, c’était elle qui le tuait le moment venu. Dès la venue au monde, la durée de vie du bébé était calculée selon ses attributs génétiques et le mode de vie dans lequel il allait évoluer (ce qui provenait encore une fois de la chance : si un bébé naissait à une heure X, il pourrait avoir une meilleure vie que le bébé né deux minutes plus tôt ; c’était évidemment inégal, mais le système était ainsi fait). Et quand le moment était arrivé, la combinaison cessait de fonctionner, ce qui rendait bien sûr toute vie impossible : la mort était désormais programmée à l’avance et tout le monde connaissait sa « date limite ». Beaucoup s’étaient élevés pour protester contre cette technique, mais elle était finalement rentrée dans les mœurs et plus personne n’y trouvait vraiment à redire.

« Euh…je voudrais jouer. »

Le Maître du Jeu leva ses yeux vides vers lui et parla d’une voix évidemment neutre et sans vie. Son teint blafard le fit frissonner.

« Evibzztdemment, monbzztsieur. Quelle bzzt mise ?
- Euh…six mois.
- Imbzztpossible.
- Quoi ? »

Jack blêmit. Les autres joueurs se mirent à ricaner, même si ils semblaient plus concernés par leurs propres pertes et gains sur leur écran, qu’ils ne quittaient pas des yeux, que par son destin. Néanmoins, il était courant que chacun ait toujours l’oreille qui traîne, pour voir si un autre gagnait une grosse somme ou si un événement se passait. Ça en avait sauvé beaucoup de la PCV.

« Monbzztsieur, la bzzt mise minibzztmale est bzzt d’un bzzt an.
- Il n’est pas possible de parier pour une mise inférieure ?
- Non bzzt.
- Bon…d’accord. Je mise un an.
- Merbzztci, monbzztsieur. Quelle bzzt périobzztde ? »

Devant Jack, un écran tactile apparut sur ordre mental du Maître du Jeu, qui était apparemment endommagé. Il espérait que ce n’était que dans ses fonctions mentales, mais il avait un peu peur que le jeu soit déjà biaisé à cause de ces problèmes. Il aurait bien demandé aux autres, mais il savait qu’il n’aurait pas de réponses et que ça fragiliserait sa position…peut-être même que certains l’agresseraient dehors, en bravant la surveillance de son appareil de chance, resté à l’extérieur car il n’avait jamais le droit d’entrer dans un conapt. Non, il devait se débrouiller seul et prier la Chance, Patlièvre et Trèflquatfeul de l’aider.

Après quelques secondes d’hésitation, il choisit la première proposition : XXIe siècle. L’écran se modifia en fonction de la période visée et fit apparaître une question avec deux choix possibles : « L’effondrement de l’économie européenne s’est produit en 2057. Pourquoi ? » et les réponses proposées : « A cause de la guerre américano-orientale de 2052 » ou « A cause du refus de la Russie de rejoindre les Etats-Unis d’Europe en 2055 ».
Jack soupira lourdement. La Chance n’était définitivement pas de son côté. Il avait une minute pour choisir la bonne réponse, sinon il perdrait une année entière de sa vie, qui était pour le moment calculée à quatre-vingt douze ans, huit mois et cinquante jours ; on avait abandonné le calcul des heures bien avant sa naissance. Les propriétaires des lieux la retirerait de sa combinaison, qui mettrait fin à son existence au moment choisi, et ils pourraient revendre cette année au plus offrant, à ces gens extrêmement riches qui voulaient repousser la date de leur décès. Si il gagnait, au contraire, il aurait alors une Carte de Chance, et c’était là son but ultime.

La Carte de Chance était un de ses objets mythiques qui changeait une vie. Même si son degré de rareté n’était pas aussi grand que la majorité des gens le croyait, le nombre de Cartes en circulation restait quand même assez faible pour susciter les convoitises, et pour cause : en avoir une donnait automatiquement le droit à 20% de chance en plus. Avec ce qu’il avait calculé, Jack en était en ce moment à 40.7% de chance annuelle, et Jacine à 50.2%. Il lui suffirait de répartir la Carte de Chance entre elle et lui, et ils seraient sauvés. Même si en avoir une à ce jeu était illégal, le Consulat ne vérifiait pas vraiment les méthodes d’acquisition des Cartes de Chance, et ils pouvaient ainsi s’en tirer…si il gagnait aujourd’hui. Ce qui était incontrôlable, malheureusement.

Ce type d’endroit était appelé la Salle de Pari, et ce n’était pas pour rien : personne ne connaissait jamais les réponses aux questions posées. Celles-ci s’arrêtaient au XXIIe siècle, à savoir six siècles plus tôt ! Aucun Terrien ne pouvait connaître des éléments aussi insignifiants que la chute des Etats-Unis d’Europe et de leur économie, c’était impossible. Le seul choix était alors de parier sur une des deux propositions, et généralement, le parieur perdait, et continuait à essayer car si il en était réduit à tenter ça, c’était qu’il n’avait pas d’autre choix. C’était un cercle vicieux, et beaucoup disaient que le Consulat encourageait ça pour que les six consuls principaux puissent continuer à survivre très longtemps. C’étaient eux les plus grands acheteurs d’années pariées, mais personne n’osait vraiment le dire, même si c’était globalement connu de tous. La PCV veillait au grain.

« Euh…je parie sur « A cause de la guerre américano-orientale de 2052 ».
- Choix bzzt valibzztdé. »

Le Maître du Jeu lui fit un sourire sans âme alors que son écran devenait noir, après qu’il ait finalisé sa réponse en cliquant dessus. Il posa ses yeux sans vie sur le visage de Jack, qui suait à grosses gouttes dans sa combinaison à cause de la tension. Le système d’absorption de l’humidité avait depuis longtemps lâché, et généralement il ne le regrettait pas, mais là, il aurait bien voulu qu’il soit toujours opérant. Ca lui aurait au moins permis de se sentir moins faible et insignifiant face au Hasard.
Quelques secondes plus tard, l’écran se ralluma et montra la bonne réponse, alors que le Maître du Jeu reprenait la parole pour annoncer la nouvelle de sa voix déshumanisée.

« Maubzztvaise bzzt rébzztponse. Noubzztvelle bzzt mise ? »

Jack sentait la pression monter. Il savait qu’il ne pourrait plus jamais gagner ses années perdues, et que déjà Janice avait deux ans à vivre de plus que lui. Il savait aussi que sans lui, elle vivrait dans une misère plus grande et qu’elle passerait ses vieux jours dans un conapt au huit centième étage…voir pire. Mais il était certain que si il laissait la situation ainsi, ils passeraient directement à ce genre de conapt, et sans vivre dans un confort plus grand les cinquante années à venir. Il n’avait pas vraiment le choix : même si Janice lui avait interdit de le faire, il devait se sacrifier. Au moins pour elle.

« Oui. Un an, à nouveau. Période XIXe siècle.
- Merbzztci. »

L’écran apparut à nouveau, et la nouvelle question ne tarda pas à s’afficher avec ses deux choix : « De quelle nationalité était Porfirio Díaz ? » avec deux réponses possibles : « Mexicaine » ou « Ukrainienne ». Jack sentit à nouveau le sol se dérober sous ses pieds, même si il était accroché au plafond. Il ne savait rien de ce type, et ne connaissait même pas les nationalités proposées. Ça faisait bien longtemps que la délimitation par pays avait disparue sur la Terre et que le Consulat avait pris le pas sur le système précédent, tout en gérant les relations sociales sur la chance. On était arrivés à la conclusion, à l’époque, que les castes étaient néfastes si elles étaient basées sur des faits contrôlables par l’homme, et il avait donc été décidé de changer cela pour parvenir à une classification sur la chance, les probabilités que personne ne pouvait gérer. Pour tout le monde, maintenant et depuis longtemps, il y avait le Consulat et son système de chance qui régissaient tout, et rien d’autre. C’était donc à nouveau une question impossible.

Les secondes s’écoulaient, et il savait qu’il risquait toute son existence sur son choix. Janice comptait sur lui, et il ne pouvait la décevoir. Le souci, c’était qu’il n’avait aucune idée de la bonne réponse ! D’ailleurs, personne ne connaissait jamais la bonne réponse. Tous ceux qui venaient tenter leur chance perdaient car les questions étaient calibrées pour faire perdre et paraître illogique. A croire qu’on manipulait l’Histoire pour qu’elle semble incontrôlable et peuplée d’éléments qui n’auraient jamais eu lieu si certains s’étaient assis pour bêtement discuter au lieu de se taper directement dessus.
En désespoir de cause, Jack cliqua sur une réponse au hasard, et l’écran s’éteignit directement après.

« Choix bzzt valibzztdé. »

Le Maître du Jeu refit son petit manège avant que l’image ne revienne. Jack posa un regard las dessus, et fut à nouveau déçu. Il n’entendit même pas la parodie humaine devant lui annoncer qu’il avait encore une fois perdu. Il savait bien que venir ici, tenter de parier sur des choses inconnues était une folie, mais est-ce qu’il avait vraiment le choix ? Janice comptait sur lui, et il ne pouvait pas la décevoir. Leur vie entière dépendait de sa réussite ici, mais il était certain de perdre plus qu’il ne gagnerait, et ce en partant du principe qu’il finirait par avoir sa damnée Carte de Chance. Il mourrait bien avant sa femme, et celle-ci vivrait péniblement les dernières années de sa vie. Mais, en même temps, si il ne faisait rien, elle passerait encore plus de temps dans les hauteurs, près du soleil, à souffrir et à se demander quand sa combinaison lâcherait pour qu’elle soit enfin libre. Dans ses deux possibilités, Janice souffrirait et ça serait de sa faute. Autant choisir celle où son malheur serait le moins long.

« Je parie à nouveau. Même mise, même période.
- Merbzztci. »

Jack soupira et se remis à parier, encore et encore. Il ne compta pas le nombre de fois qu’il paria, mais il était sûr que Janice lui en voudrait à jamais si elle apprenait un jour toutes les années qu’il avait perdues. Bien sûr, elle serait touchée qu’elle ait fait ça pour elle, mais elle n’accepterait jamais son sacrifice…et c’était bien pour ça qu’il ne lui en parlerait pas. Mieux valait l’incompréhension de sa mort rapide que sa tristesse quotidienne en sachant leur destin.
Finalement, après plus d’une demi heure de paris intenses, il décida d’arrêter : il venait de perdre une dizaine d’années de vie, les divinités mises en place par le Consulat n’avaient apparemment pas envie de l’aider…à quoi bon, alors ? Dépité, il se laissa glisser des anneaux sous le regard amusé des autres joueurs. Il savait qu’ils riaient de lui, mais eux non plus ne gagnaient pas et perdaient leur existence à ces jeux impossibles. Ils étaient autant pathétiques que lui, même si il s’interdit de répliquer.

Il lévita jusqu’à la porte et entra dans la zone d’attente, le moral détruit : il n’avait pas réussi à gagner sa Carte de Chance, et en plus il avait perdu plusieurs années de vie. Janice et lui allaient retomber à un niveau social extrêmement bas, et en plus il ne pourrait pas s’occuper d’elle autant de temps qu’il l’aurait voulu. La journée commençait vraiment mal.

La lourde porte coulissa devant Jack, et il retrouva le quai qu’il avait laissé, ainsi que le mouchard du Concordat. D’un air las, il se mit à marcher vers le métro, sachant bien que sa vie était brisée et que plus rien ne pourrait le sauver. Janice allait peut-être le quitter pour se trouver un meilleur compagnon, et elle n’aurait pas eu tort : il n’était qu’un raté, et peut-être aurait-elle plus de réussite en retentant sa chance au roulmar, le système qui permettait de se trouver un conjoint selon son pourcentage de chance. Elle était encore jeune et son niveau n’était pas trop mauvais : elle pourrait s’en sortir, même si ça voulait dire que lui n’aurait plus rien.

Abattu, il s’approchait du métro qui n’était évidemment pas là quand quelque chose brilla au sol. Au départ, il crut que c’était la visière de son casque qui était encore sale, et il essaya donc de frotter son gant dessus, mais la brillance ne disparut pas : peut-être était-ce vraiment quelque chose par terre, se dit-il. Il s’accroupit et essaya de voir l’objet de ses recherches, ce qui était assez difficile étant donné qu’il avait le soleil juste en face de lui et que celui-ci faisait briller la passerelle argentée. Néanmoins, après quelques secondes difficiles, il finit par mettre la main sur quelque chose…et il n’en crut pas ses yeux.

« Trèflquatfeul… »

Jack déglutit difficilement alors qu’il se relevait et se mettait dos au soleil pour mieux voir ce qu’il tenait dans ses mains. Il ne pouvait pas y croire…c’était trop beau pour être vrai. Est-ce que c’était possible ? Est-ce que ça pouvait être ce qu’il pensait que c’était ? Est-ce que c’était bien une…Carte de Chance ?!

A nouveau, il transpira dans sa combinaison, mais cette fois-ci, il s’en fichait complètement. Dans sa main brillait une Carte de Chance, cet objet rare qui était normalement déposé aléatoirement sur toute la planète et souvent ramassé par des gens peu recommandables comme les propriétaires du lieu qu’il venait de quitter. A cause du système de pari, il était pratiquement impossible d’en trouver une ainsi, par « chance », avant que certains ne viennent les ramasser volontairement. Mais lui qui venait de perdre une dizaine d’années à essayer d’en gagner une, lui qui en avait tant besoin, lui qui était prêt à laisser partir sa femme pour qu’elle survive…lui venait d’en trouver une ! Une vraie !

C’était évidemment un événement hors du commun, et immédiatement Jack l’exhiba au mouchard du Concordat, pour que celui-ci voit bien la Carte de Chance et qu’il l’enregistre bien. Jack était évidemment aux anges, et même le fait d’avoir perdu plusieurs années d’existence ne venait pas tant le troubler que ça. C’était bien sûr un souci : il avait dû sacrifier énormément pour rien, et tout ça aurait pu être évité si il était simplement sortit du conapt. En d’autres circonstances, Jack aurait déprimé en pensant à sa « malchance », mais il chassa rapidement tout ça de ces pensées : il voulait profiter avant tout du moment, et surtout il était clair maintenant que cette « malchance » n’existait pas, vu ce qu’il venait de trouver. Il ne pouvait y avoir de signe plus clair que cela, après tout, non ?

Le sourire au visage, il s’avança donc vers le métro qui n’arrivait toujours pas, serrant bien sa Carte de Chance dans la main. Il allait être en retard au travail, mais ce n’était pas bien grave : pour un an encore, il aurait son merveilleux conapt et pourrait survivre. Même si il était sur une pente descendante du fait de son âge (plus on vieillissait, moins la chance était là : c’était évidemment une mesure pour faire disparaître les anciens et laisser la place aux jeunes, mais personne ne s’en plaignait vraiment…ou n’osait s’en plaindre, par peur de la PCV), même si il était quand même inquiétant d’avoir si peu de chance en dehors de cette magnifique découverte, il n’aurait pas à s’inquiéter pour l’année à venir. Il avait apparemment un sursis, et c’était le plus important : le reste, il s’en occuperait plus tard, quand le sens des réalités et de ses sacrifices inutiles lui reviendraient. Là, il profitait juste, et ça lui suffisait.
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