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  #1  
Vieux 04/11/2004, 22h12
Haschatan
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Histoire d'un Nain (fiction originale)

PROLOGUE


Hüdüm,
tu n’es encore qu’un frêle être bercé dans le bonheur de l’enfance. Je ne peux me résoudre à te sortir de cette époque bénie de ta vie de Nain, et j’aimerais te dire d’en profiter le plus possible tant que tu en as encore le loisir, mais aujourd’hui sera un dur moment à passer pour toi, puisqu’en plus d’avoir perdu ta mère, tu vas me perdre moi aussi. J’ai failli à ma parole, je lui avais juré de la protéger tant que je serais en vie et je n’ai pu le faire. Pardonne-moi de t’abandonner ainsi, mon fils, mais le seul châtiment qui soit assez pénible pour racheter mon honneur est l’exil. Il fût un temps où nul être, qu’il soit Homme, Elfe ou Démon, n’aurait pu me séparer de vous, mais au moment où je t’écris cette lettre, mon cœur est trop déchiré pour que je puisse continuer à t’enseigner la vie, puisque tu es tout ce qui reste de la mienne. Tu seras bien plus heureux de vivre avec ton grand-père que de vivre avec un Nain tourmenté par la mort de sa femme. Quoi que tu puisses en penser, j’ai tout fait pour la sauver, j’ai tenté de tuer cette bête mais elle était plus forte que moi, et elle m’a vaincu. J’aurais donné ma vie pour sauver Soenia, mais une personne assommée à rarement la possibilité de ramasser sa hache et de retourner au combat… Je te souhaite une vie comme l’a été la mienne, car bien que j’aie connu tous ces tourments, j’ai eu la chance incommensurable d’aimer et d’être aimé par cette femme si admirable et d’une si grande bonté qu’était ta mère, qui a su me combler de joie et de bonheur en plus de m’avoir offert le plus beau des présents, un fils dont j’espère être fier grâce à ses agissements futurs.
Tu seras un forgeron, mais aussi un guerrier, c’est le fardeau de notre famille. Aussi n’oublie jamais les principes du guerrier Nain : bats-toi avec honneur, ne viole pas les femmes, épargne qui s’est bien battu ou qui défend sa famille, ne sépare pas l’enfant de son père ou le père de son enfant. La famille est sacrée, ne t’attaque jamais à elle comme je le fais en ce moment en me séparant de vous. Tu es le fruit de ma vie, et tu seras toujours mon fils ; j’espère que tu me considèreras toujours comme ton père après le terrible coup que je t’assène en t’abandonnant. Ma honte sera retranscrite sur toi, tu seras rejeté par le Dünd par ma faute et, crois-moi, j’en suis désolé. Mais ne fléchis pas, fait rentrer les insultes dans la gorge de ceux qui les profèrent à coups de hache, c’est le seul moyen d’être considéré comme un vrai Nain, mon fils.

Ton père Morgril, qui espère plus que tout que ta vie soit bénie des dieux.

Bénie des dieux, tu parles ! , pensa Hüdüm. Je ne sais pas ce qu’ils foutent mais ils ont dû m’oublier. Il referma la boîte de métal emplie d’étain claire étoffe, dans laquelle son père avait gravé cette lettre. Il alla la remettre dans le local où il rangeait ses bons souvenirs, un petit placard en fait. De nombreuses lettres d’Enia, celle qui aurait dû être sa femme…, une gravure qu’il avait faite de son beau visage, et une gravure de sa mère décédée, c’était ses seuls bons souvenirs avec cette lettre, dernière chose qui lui rappelait qu’il avait un père. Tout le reste de sa vie se résumait en peu de choses : l’apprentissage des arts de la forge et de la guerre auprès de son grand-père, leur mise en pratique et un loisir qui lui permettait de se détendre, jouer d’une cornemuse traditionnelle des Nains, la verzdûm. Son grand-père lui avait appris ces trois métiers, mais parallèlement il aurait préféré retirer le mot « guerrier » de la liste de ses qualifications. Il passa son baudrier et y rangea sa hache, dans le fourreau dorsal, oblique pour pouvoir dégainer son arme plus rapidement et pour que marcher avec elle dans le dos ne soit pas un fardeau insurmontable, comme le sont les fourreaux des épées, qui se prennent sans cesse dans les jambes. Il attrapa sa verzdûm, posée sur la table et gonfla la poche pour en jouer un peu et l’accorder. Il entama quelques notes pour se dégourdir les doigts, tînt la tonique quelques temps, puis la quinte. Trop aigu, pensa-t-il. Il déboîta le chalumeau de la souche et écarta les lamelles de roseau de son anche double, pour que le son soit plus grave. Le Nain fît un autre morceau et s’arrêta, content de son accordage.
« La paix, bordel, il y en a qui dorment ici ! , lança son voisin du dessus.
- A cette heure-ci, il n’y a que les fainéants qui dorment encore, riposta Hüdüm. Et si tu veux je peux te rendre un petit service : sans ta tête, tu verras, ma musique ne te gênera pas le moins du monde! »
Il n’y eu aucune réponse et le Nain se prépara, d’un air content, pour partir jouer au village d’Aurais.
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  #2  
Vieux 04/11/2004, 22h13
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LIVRE I :



Chapitre1 :

Personne n’était accoudé au comptoir de la Bonne Pinte ce soir-là. Les seules choses qui subsistaient à l’intérieur de la taverne étaient des chopes de bière à moitié vides, du tabac brûlé et du verre brisé jonchant la terre battue. Il ne restait qu’une seule personne à l’intérieur, c’était une jeune femme…une serveuse. L’absence de clients dans cette taverne du Sud, qui d’habitude était pleine à craquer, ne semblait pas la troubler le moins du monde. Elle s’affairait machinalement, derrière le comptoir, à ranger tout ce qui traînait, à remettre les tables poussées dans la précipitation du départ sur pied et à tout nettoyer.
A l’extérieur, une foule s’était amassée autour d’un cercle tracé à même le sol, dans lequel se trouvaient, face à face, deux êtres radicalement opposés : d’un côté se tenait un Homme, épée à la main, un lourd plastron de métal posé sur ses larges épaules et son bras gauche protégé par un pavois dont l’écusson, un dragon doré qui se mord la queue, était le signe distinctif des meilleurs vétérans du roi Smölden, les spadassins d’élite de la race des Hommes ; en face de ce grand héros, distingué dans de nombreuses batailles, se tenait, campé sur ses jambes courtes mais cependant très musclées, un Nain, vêtu simplement d’une tunique et d’un pantalon de lin noirs et ayant pour arme une lourde hache ébréchée qui ne coupait presque plus. Dans le regard du combattant chevronné se reflétait la morosité, la lassitude de tuer, tandis que l’autre acceptait son destin tant bien que mal. Il était prêt à mourir pour l’offense qu’il avait commise à l’encontre d’un si grand guerrier.
Le combat, dont chacun connaissait l’issue, fut bref. Une tête puis un corps tombèrent sans vie sur le sol. La main du cadavre serrait encore son arme avec une ardeur effrayante. Tout le monde ici savait ce qui se passerait quand l’Homme avait offensé Hüdüm, le Nain à la tunique noire. Un grand guerrier était encore tombé sous les arcs flamboyants que décrivait sa hache dans les airs, et pourtant l’Homme avait eu la chance de pouvoir porter le premier coup. Maigre chance de toute façon puisque personne n’avait jamais, jusqu’à lors, réussi à blesser le Nain en combat singulier.
Il essuya sa hache maculée de sang sur de l’herbe proche et effaça le cercle tracé dans le sable de sa botte. Au milieu des acclamations des nombreux parieurs qui avaient misé sur lui de grosses sommes d’argent, Hüdüm retourna dans la taverne pour finir la pinte de bière qu’il avait laissée sur le comptoir. Il était d’une humeur maussade et la but d’un trait, sans même en apprécier le goût. « De toute façon, les bières humaines sont insipides, pensa-t-il en essuyant sa longue barbe. » Il était las, blasé. Il ne pouvait supporter que l’on puisse miser de l’argent sur les combats qu’il faisait, sur son honneur. Il avait entendu, en quittant le lieu de l’affrontement, quelques parieurs discuter d’un « beau combat » .
« Comment peuvent-ils trouver la mort belle, avec tout ce qu’elle nous fait subir ? Ils croient que je suis une bête de guerre et que tuer me fait plaisir. S’ils pensent que ça m’amuse, et bien pas du tout ! La mort s’impose à moi, et je ne rempli les rangs de ses légions que par nécessité ! bougonna-t-il pour lui-même.
- Ce n’est pas ta faute !,lui dit une voix de femme. Arrête de te lamenter sur ton sort, il savait très bien ce qu’il faisait en te provocant. En plus, tu lui as laissé sa chance. Il t’a raté, c’est de sa faute !
- C’est gentil de ta part d’essayer de me remonter le moral, Méléana… Mais le combat était inégal, il ne se battait que depuis une quarantaine d’années. Pour un homme, c’est beaucoup, mais un Nain qui se bat depuis quarante ans, c’est encore une recrue ! C’est pas que je m’ennuie avec toi, au contraire, mais il faut que je retourne au boulot. »
Il retourna sur la petite estrade et reprît son instrument, qu’il avait posé sur sa chaise avant le duel. En outre, il laissait toujours sa hache à côté de lui quand il jouait de la musique. En dehors de ces moments-là, il la gardait accrochée dans son fourreau dorsal, à portée de ses mains abîmées par la guerre et le travail, de façon à être prêt en toute circonstance. Cette hache, il ne l’avait plus quittée depuis que son grand-père, le sage et vénérable Jorël, lui avait offerte cent quatre-vingts ans auparavant, pour le début de son Gúnarlik. Il lui avait appris depuis peu que c’était son père qui, du fin-fond de son exil, l’avait forgée de ses propres mains, gage de l’amour qu’il portait à son fils malgré l’énorme distance qui les séparait. Bien qu’il ne l’eut que très peu connu, Hüdüm portait une admiration immodérée envers ce grand héros qu’était son père. Celui-ci avait quitté les grottes Mytrales, où il avait vécu toute sa vie durant, peu de temps après la naissance de son fils.
En son for intérieur, Hüdüm savait que l’histoire de sa famille n’avait été ponctuée que de malheurs, de guerres et de tueries. Cette histoire était écrite en lettres de sang dans le Grand Livre des Anciens.
Il fixait le vide depuis quelques temps, perdu dans les méandres de ses pensées. Il prît soudain conscience de la longue main aux doigts fins qui tentait de le ramener à la réalité.
« Il serait peut-être temps de te remettre à jouer, Hüdüm ! dit la même voix d’Elfe chaude et claire que tout à l’heure.
- Désolé Méléana, j’était perdu dans mes pensées… »

Le Nain gonfla la poche de son instrument et se mît à jouer. La foule était revenue dans la taverne et faisait un boucan d’enfer, mais quand les premières notes sortirent de la verzdûm d’Hüdüm, chacun se tut et écouta attentivement la mélodie. L’on put voir alors de nombreux gaillards laisser échapper quelques larmes, qui furent certainement les premières à s’écouler sur leurs joues rougies par le soleil et l’alcool. La triste complainte rappelait à tous des souvenirs douloureux.
Puis Hüdüm se mit à jouer un morceau très enlevé, et la mélancolie laissa place à la gaieté. Il aimait la musique, et cela se ressentait énormément dans sa façon de jouer. Tandis que son talent provoquait beaucoup d’effet aux gens, les faisait sourire ou pleurer, lui, restait de marbre, comme s’il avait été taillé à même le roc. D’après les rumeurs qui couraient, les Nains seraient nés de la pierre elle-même, sculptés par leurs onze dieux qui, trouvant leur œuvre trop impersonnelle, leur auraient donné la vie par la suite…
Hüdüm symbolisait à lui seul son peuple : son visage était impassible, austère et fermé, semblable à sa race ; mais cependant, une fois qu’il vous avait accepté, il faisait preuve d’une amitié et d’une hospitalité sans bornes.
Il y avait une raison bien précise au fait que son visage soit si inhospitalier : le Livre de l’Oubli tenu par sa famille depuis les fondements de l’âge des Nains interdisait de montrer des signes de joie ou de tristesse à chaque membre masculin de cette même famille. Et il en serait ainsi tant que la hache de l’arrière grand-père d’Hüdüm, disparu lors d’une attaque des Gobelins dans les mines, ne serait pas retrouvée.
Ainsi, Hüdüm devait non seulement laver par le sang les injures que l’on avait osé commettre à son égard, mais également celles commises envers toute personne de sa famille qui serait morte avant d’avoir pu se venger elle-même. Il passait donc la plupart de sa vie à jouer de la musique, à travailler dans les forges et à tuer les gens consignés dans le Livre de l’Oubli familial, une bien triste routine… Il avait d’ors et déjà vengé mille deux-cents quatre-vingt dix-neuf sentences du premier tome, dont une de plus le jour même. Le seul problème pour lui, c’était qu’il restait cent quatre-vingt dix-neuf tomes… Mais à la vitesse où il allait, il devrait les avoir terminés dans trois mille ans, tout au plus.
« Ma famille a eu une vie assez mouvementée, se dit-il tout bas, mais enfin j’aurais toujours fini le premier tome…
- Tu parles tout seul maintenant, lui demanda la voix d’Elfe qu’il avait entendue peu de temps auparavant.
- Oui…euh, non, je…me félicitais parce que j’ai fini mon premier tome en tuant le shkakuï qui m’a provoqué tout à l’heure.
- Et je peux savoir ce que c’est un « shkakuï »?
- C’est un pauvre imbécile qui se bat seulement de puis quarante ans et qui provoque quelqu’un qui s’entraîne depuis plus de cent ans, voilà ce que c’est !
- Mais c’était un affront envers toi, objecta l’Elfe, et tu m’avais dit que le premier tome ne concernais que ton arrière arrière arrière arrière grand-père…
- Pas tout à fait. En vérité, il concerne mon arrière arrière arrière arrière arrière grand-père, qui écrit les vingt premiers tomes. Mon arrière arrière arrière arrière grand père a, lui, écrit les tomes vingt à cinquante. Puis son fils en a écrit soixante, et le fils de son fils en a rédigés onze. Mon arrière grand-père n’en a écrit que trois de deux milles pages chacun, c’était soit un pacifiste soit quelqu’un qui détestait écrire, il n’en a rayés que deux entiers et quatre pages d’un troisième. Puis il s’est fait tuer lors d’une attaque dans les mines… Mon grand-père en a écrit trente neuf, mon père trente quatre et j’en ai moi même écrits deux. Mais bon, je n’ai que deux centaines d’années!
- Tu changes de sujet, tu ne m’as toujours pas expliqué pourquoi cet homme était en rapport avec ton ancêtre.
- Et bien, il n’était pas vraiment en rapport direct avec mon aïeul, mais il était le plus proche descendant d’un inconscient qui a osé l’insulter, il y a plusieurs dizaines de milliers d’années de cela…Il avait été clément alors parce que l’homme avait des enfants, il lui avait juste cassé quelques côtes, le nez et un bras…
- C’est donc bien vrai que la rancune des Nains est éternelle, fît-elle remarquer. »

Hüdüm avait fini de jouer ce soir-là et s’apprêtait à rentrer chez lui mais, comme d’habitude, il préférait attendre que son amie Méléana ait commencé à chanter avant de s’en aller. Les Nains n’avaient jamais vraiment aimés les Elfes, ils avaient tout juste réussi à cohabiter à peu près pacifiquement pendant un moment, mais leurs divergences de cultures les avaient vite amenés à se quereller. L’orgueil des Elfes n’était pas tolérable pour les Nains, un peuple où l’on se tutoie sans se connaître et où l’on dit bonjour à tous les gens que l’on croise, même à des inconnus. D’un autre côté, cette tradition était considérée comme vulgaire de la part des Elfes, qui employaient le vouvoiement pour les personnes plus âgées, ainsi que des formules de politesse alambiquées pour les hauts dignitaires étrangers ; manie qui exaspérait au plus haut point les représentants commerciaux Nains, puisque chez eux le vouvoiement était réservé aux plus anciens, qui avaient dépassé les deux cent mille ans, puisqu’ils étaient à eux seuls la mémoire de tout un peuple. Cependant, Hüdüm était l’ami d’une Elfe, ce qui était mal perçu par les siens qui le rejetaient déjà bien avant cela ; de toute façon, il n’en avait cure. « Le brave en son pays de tous les couards est haï » lui disait son grand-père pour lui remonter le moral, « De toute façon, tant que tu seras celui qui est aimé de tous les Anciens de la forteresse, tu seras maudit par les plus jeunes. Ce n’est pas qu’ils te détestent, c’est juste qu’il t’envient ! »
Mais ce soir n’était pas un soir comme les autres et les gens qui s’étaient regroupés dans la taverne parlaient dès que cela leur était possible. Ils n’avaient pas dit un mot quand le Nain avait joué de son instrument, de peur qu’il ne leur tranche la tête, comme il l’avait fait au pauvre bougre tout à l’heure. Ils ne s’étaient pas arrêtés de parler depuis que plus personne n’était sur la petite scène en bois et ils ne stoppèrent pas leurs discussions, même lorsque l’Elfe à la si belle voix commença sa complainte. Que l’on manque ainsi de respect envers la musique mettait Hüdüm dans un colère innommable! Fou de rage, il saisit sa hache et réduisit en miettes la plus proche des tables qui se dressaient devant lui.
« - Maintenant, vous allez me dire ce qui se passe !, ordonna-t-il, si c’est une très bonne raison, je ne tuerais personne, enfin je ferais ce que je peux… »
Seul un grand gaillard trapu, visiblement pas très futé, osa prendre la parole :
« - C’est que, depuis qu’eques temps, y’a un vieillard sinist’ qui rôde dans l’coin. Y’ r’semble à un vieil arb’ rabougri et plein d’mousse. On s’disait qu’vous pourriez lui régler son compte, comme vous l’avez fait à l’autr’ bouf’galette tout à l’heure.
- Vous ne pensez pas qu’il faudrait lui demander ce qu’il veut avant de le tuer? s’enquit le Hüdüm. »

La salle était bouche-bée. Tout le monde ici croyait que le Nain était une brute sans cervelle, un prédateur vouant sa vie à l’art de tuer, et qu’il serait heureux d’avoir une nouvelle victime. Personne n’avait songé un seul instant que le corps robuste du Nain abritait une âme. Déterminé à parler au vieil homme, Hüdüm alla d’abord récupérer sa hache, on est jamais trop prudent…Elle était planté dans le sol, au milieu des débris qui constituaient autrefois la table qu’il avait détruite. Il sortit ensuite de la taverne sous les regards inquiets des gens qui y étaient présents, principalement des Hommes de la région, grands et larges d’épaules, des géants par rapport au Nain, qui leur inspirait pourtant une peur immodérée.
La plupart des ces hommes faisaient jusqu’à trois têtes de plus que lui ; cependant, aucun d’eux n’osait lui parler, de peur de faire une erreur qui leur serait fatale. Tous le craignaient à un point tel qu’il osaient à peine parler de lui quand il n’était pas en ville, de peur que leurs propos ne reviennent, d’une façon ou d’une autre, à ses oreilles. Un grand nombre de rumeurs couraient cependant au sujet du « Tueur », ou encore du « Mangeur d’Âmes », comme les plus courageux l’appelaient dans son dos; des rumeurs totalement infondées pour la plupart. L’on racontait que le « Tueur » avait assassiné son père, un grand seigneur d’une mine lointaine, pour voler le trésor familial, et qu’il porterait depuis la tunique noire en signe de deuil. L’on disait également qu’Hüdüm était la réincarnation d’un des dieux Nains de la guerre, revenu pour se venger d’une rancune ancestrale et pour anéantir tous les peuples de l’Ancien Monde, mis à part le sien, pour que celui-ci puisse revenir vivre sur la terre ferme, comme il vivait pendant les fondements de l’Age des Nains.
« - Tu enlèveras ça de ce que tu me dois » , dit-il au patron, un homme ventripotent aux sourcils broussailleux et à l’air sympathique, en désignant du regard les restes de la table.
Dehors régnait un silence de mort. Les grenouilles de la mare à proximité ne chantaient pas ce soir. La nuit avait étendu son voile d’obscurité, et Hüdüm respira avec délectation le doux parfum qu’exhalaient les roses de la mère Guillard dans la tiédeur du crépuscule. Il avait toujours aimé la nuit, tout n’y est que silence et égalité, partagé entre l’admiration quand on regarde les étoiles, et la crainte de se faire poignarder par un assassin qui en veut à votre argent. Depuis sa naissance dans les Grottes Mytrales, demeure ancestrale du Clan des Forges Enflammées, il avait appris à éveiller ses sens dans l’obscurité et voyait mieux que quiconque dans le noir. Un petit bruit se fît entendre à sa droite. Aux aguets, il attendait un second signe, un bruissement de feuille, un craquement de branche, un geste ou un bruit quelconque, qui trahirait la présence de quelqu’un tapis dans l’obscurité.
Un son presque inaudible, mais qui ne passa pas inaperçu aux oreilles du musicien, lui fît faire un bond sur sa gauche. Hüdüm savait que quelqu’un se terrait dans l’ombre de ce grand saule. Arrivé au niveau de cet inconnu, il sentit une main d’une froideur de mort s’écraser sur son visage avec une extrême violence. Personne n’avait jamais réussi à le frapper jusqu’à lors, mais le vieillard décrépit qui se trouvait en face de lui l’avait fait. Il était plus grand que le Nain de quatre têtes et la finesse de ses membres n’aurait jamais laissé croire à Hüdüm qu’il puisse lui asséner un coup d’une telle puissance.
Il ressemblait, comme l’Homme dans la taverne l’avait dit, à un vieil arbre rabougri : sa longue barbe blanche était enroulée autour de sa taille telle une ceinture et divers branchages, lichens et mousses y étaient enchevêtrés. Il avait la peau d’une rare blancheur dans un tel pays de soleil, et ses cheveux étaient regroupés en une grande tresse grise, serrée à son extrémité par un anneau fait de l’or le plus pur qui soit. Une mésange avait fait son nid sur son épaule ; l’oiseau était à l’intérieur de son abri et ne semblait être inquiété ni par le vieillard ni par le Nain.
Ayant repris ses esprits, Hüdüm ramassa sa hache et la brandit pour menacer le vieil homme, qui resta impavide. Selon la coutume des Nains et devant la grande vieillesse de l’homme, Hüdüm le vouvoya, privilège qui était réservé aux Nains et aux Nymphes les plus vieux de la forteresse, vouvoiement de rigueur puisqu’ils étaient garants des souvenirs de leurs peuples.
« - Qui êtes-vous ? », demanda le guerrier, calme.
La voix grave du vieillard s’empressa de lui répondre :
« N’avez-vous pas appris les bonnes manières, maître Nain? Ou bien, peut-être avez-vous peur d’un vieillard décrépit comme moi? En tout cas quelque chose est sûre, c’est que vous êtes un Nain ! J’ai assez côtoyé votre peuple pour savoir que vous vouez un culte aux Anciens. Sachez, jeune homme, que j’ai vu défiler plus de printemps que votre arrière arrière arrière arrière arrière grand-père ! De par le fait, vous auriez dû vous présenter en premier, messire Hüdüm. »
Achevant ses paroles, le vieillard agrippa le poignet du Nain de sa main osseuse avec une telle vigueur que celui-ci fut forcé de lâcher son arme, qui se planta dans le sol.
« Cette formalité étant accomplie, je vais pouvoir vous dire la raison de ma présence ici, c’est bien pour cela que vous êtes venu ? »
Hüdüm ne savait que répondre. Comment cet homme pouvait-il savoir ce qu’il pensait?, s’interrogea-t-il.
« Et bien tout simplement parce que je suis devin, mon jeune ami. Je sais également lire dans les pensées, si cela vous intéresse. Mais trêve de bavardage, je suis ici pour vous dévoiler quelques lignes de votre destin…et pour y corriger des fautes, ajouta-t-il pour lui même.
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Vieux 04/11/2004, 22h13
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Chapitre2

« Un bruit…La horde approche. Je peux les entendre à des kakündümz. Le bruit infime de leurs pas résonne déjà dans ma tête. Ils arrivent, ils sont tout proches. Pourquoi tout cela? Que leur ai-je fait? J’espère de tout cœur que ma ruse fonctionnera… Ils ont du flair, mais pas à ce point-là… Cela va faire leur cinquième troupe depuis une semaine, je ne sais pas ce qui se passe mais il y en a de plus en plus, ce n’est pas normal. Je gravirais le Mont Rugissant ce soir pour voir ce qui s’y passe. On y entend des bruits sinistres depuis une dizaine de jours, des hurlements effroyables. Sûrement de quelconques cérémonies Orques ou Gobelines, des rites où le sang doit couler à flot sur l’un de leurs autels maléfiques. Ils approchent de plus en plus. S’ils me repèrent, je suis perdu…Ils ne me repèreront pas, ma ruse a déjà dupé bon nombre d’entre eux. Mais que faire des cadavres, il y en a déjà beaucoup trop d’entassés dans la vallée et leur puanteur s’insinue jusque dans ma grotte…Je sais, je vais les donner en offrande aux Ancêtres ; je les immolerais puis j’irais sur le Mont Rugissant. Les voilà qui arrivent… »
La troupe de Gobelins approchait avec autant de précautions qu’un assassin qui veut poignarder son ennemi dans le dos. Leurs pupilles étaient dilatées au point de recouvrir la totalité de leurs yeux, ce qui leur permettait une vision sans faille dans le noir. Cependant, ils n’avaient pas vu le Nain perché sur son arbre ; pourtant un Nain dans un arbre ne passe pas inaperçu. Ils auraient dû le sentir, mais il savait ce qu’il faisait.
Depuis le début de son exil, il avait appris à se servir de tout ce que la Nature lui offrait. Aussi avait-il vite compris comment se dissimuler dans les bois pour chasser, et faire disparaître son aura olfactive. Il s’était frictionné avec de la terre puis enduit de boue de la tête aux pieds et enfin, il s’était roulé dans des feuilles mortes. Bref, il ressemblait plus à un Elfe sur sa branche qu’à un Nain., mais c’était la seule façon de survivre face à tant de Gobelins.
« Ils ne sont pas restés tous groupés cette fois, pensa-t-il, ils commencent peut-être à comprendre…Je vais avoir du mal à les trucider s’il me criblent de flèches! »
D’un bond digne des acrobates itinérants de Doroda, le Nain atterrit au milieu de la troupe de Gobelins, en assommant quatre et en tuant un sur le coup. S’étant saisi de sa hache, il disloqua la moitié du régiment de ces ignobles créatures sans leur laisser le temps de réagir. Au milieu de leurs derniers congénères qui couraient en tous sens, complètement terrorisés, deux d’entre eux, un peu plus courageux (enfin, un peu moins couards) osèrent prendre leurs arcs et tirer sur le Nain couvert de feuilles. D’un rapide revers de la main, ce dernier détourna les deux flèches avant qu’elles n’atteignent son visage. Bouches-bées, les Gobelins tournèrent les talons pour finalement fuir avec les autres le lieu du combat, ou plutôt du massacre.
« Quand vous reverrez votre chef, dîtes lui de venir me voir lui-même s’il a quelque chose à me reprocher, je m’expliquerais avec lui! », leur lança le Nain essoufflé.
Ses poumons le brûlaient horriblement à chaque fois qu’il faisait un effort violent. Tout cela à cause de ce maudit Troll, le même qui lui avait ravi sa femme sans qu’il ne puisse rien faire…
Le Nain alla entasser les cadavres de ses ennemis avec les autres, qu’il avait amassés plus bas dans la vallée. Il les enduisit de poix, les recouvrit de fagots et les entoura d’un cercle de pierres , puis il arrosa l’espace entre les pierres et les Gobelins morts pour ne pas mettre le feu à la forêt toute proche. Il fît donc son offrande aux Ancêtres, en immolant ses nombreuses victimes. Il retourna ensuite dans sa grotte pour chercher quelques affaires : une corde, de la craie pour que ses mains ne glissent pas sur la roche, quelques fruits secs et peu de viande crue qu’il devrait manger en chemin. Il avait plusieurs heures de marche devant lui avant d’atteindre le pied du Mont Rugissant .Le gravir en pleine nuit n’allait pas être chose facile : huit heures d’ascension à main nues, sans compter les nombreux dangers qui guettent les voyageurs imprudents dans l’obscurité…
Pourquoi voulait-il aller voir ce qui se passait là-haut ? Pas seulement pour tuer des Gobelins en tout cas, non… La véritable raison qui le poussait à aller voir, c’était la vengeance. Il avait reconnu ce cri rauque et caverneux, le même que ceux qui émanaient de la gueule puante de cette bête la nuit du drame. Tous ces souvenirs qu’il avait tenté de refouler au plus profond de son être durant deux longues centaines d’années étaient remontés à la surface en quelques instants, en entendant simplement ce hurlement. Toutes les raisons de sa honte, en vérité, lui avait soudain inondé l’esprit, comme si le barrage psychique qu’il avait érigé pour contenir les eaux troubles qui le tourmentaient avait cédé brutalement, laissant ainsi ces flots dévastateurs s’insinuer au plus profond de son âme.
Il ne pouvait plus attendre. Le désir de vengeance se faisait de plus en plus pressant. Ses mains tremblaient sous l’afflux de haine qui l’envahissait. Ce monstre affreux auquel il devait la perte de son épouse et son si long exil allait enfin payer… Le Nain l’avait cherché de nombreuses années, arpentant les innombrables sommets des Monts des Dragonnards dans le seul but de laver de cet affront l’âme de sa défunte épouse ; et cela même si sa quête devait lui coûter la vie. Il n’aurait aucun regret s’il devait laisser son existence derrière lui, il n’avait que trop souffert, mais l’idée qu’il y a toujours quelqu’un qui souffre plus que soi et le désir de revoir un jour son fils le maintenaient en vie. Dans ses moments de désespoir, il en était venu à se demander les raisons pour lesquelles il était né. Il était même parvenu à la conclusion que s’il n’était pas venu au monde, il aurait causé beaucoup moins de tourments autour de lui : Soenia ne serait pas morte et il n’aurait pas engendré un fils contraint de grandir sous l’aile de son grand-père, dans l’attente d’un père qu’il n’avait que trop peu connu…
Puis il se ressaisit. Il savait au fond de lui-même que c’était l’amour qu’il leur portait qui l’avait fait s’éloigner d’eux. Il désirait par dessus tout, et même au delà de l’affection qu’il portait à sa famille, que son fils puisse grandir dans un monde où règnerait la paix, et pas la violence continue comme dans les jours sombres où ils vivaient. Ils avait quitté le Dünd, où il travaillait comme forgeron, pour rejoindre les rangs des fières armées Naines. Il fît ses preuves dans les combats les plus intenses qui avaient éclatés aux quatre coins de l’Ancien Monde. Il monta rapidement les différents grades de l’armée et se retrouva avec les Hauts-Stratèges, contraint de travailler dans l’arrière ligne et de donner des ordres ; mais il préférait le contact avec ses soldats, qu’ils ne puissent pas dire qu’il les envoyait au casse-pipe pendant qu’il fumait tranquillement la sienne, devant les cartes où il déplaçait ses pions.
Son courage et son talent le placèrent au sommet de la hiérarchie guerrière des Nains. Il se battait comme le dieu de la guerre lui-même l’aurait fait, toujours hache en mains au premier rang lors des affrontements les plus indécis, et cela contre les adversaires les plus variés et les plus coriaces : des Orques, des Gobelins, des Trolls, des Géants et bien d’autres encore. Il possédait le don guerrier de tous les Promptes-Haches et il s’en servait le mieux qu’il pouvait lors des combats, particulièrement contre les Orques. Un jour, complètement séparé de son unité et face à force Orques du clan Shorok, il lui avait remarquablement bien servi : épuisé, il avait tenté un assaut désespéré. Courant droit devant lui en faisant des moulinets avec sa hache, qui éventrait la plupart des ennemis qui osèrent lui faire face, il sentit soudain la fatigue disparaître de ses membres endoloris et un afflux d’énergie se diffuser dans tout son corps. Ses mains tremblèrent comme rarement elles ne l’avaient fait. Ne pensant même pas à se défendre, il continua de courir vers la cible qu’il s’était désignée : le chef de guerre du clan d’Orques, Shagrok l’Eviscérateur. C’était un nom qui lui allait comme un gant, étant donné que sa longue épée, remarquablement ouvragée pour une arme de facture orque, tranchait en deux quiconque essayait de l’approcher.
Emporté par sa rage meurtrière, le Nain s’était frayé un passage à coups de hache parmi les rangs ennemis et était très proche de son but. L’avancé qu’il avait faite avait permis à ses troupes de charger en un point désormais vulnérable, mettant ainsi l’ennemi en déroute. Les Nains ne sont peut-être pas les plus rapides coureurs de l’Ancien Monde, mais quand leurs verzdûmz et leurs tambours de guerre sonnent le pas de charge, mieux vaut jeter les armes et courir le plus loin possible, en espérant que, malgré leur persévérance, ils n’arrivent pas à vous rattraper !
L’armée orque battait désormais en retraite mais son général n’aurait jamais abandonné un champ de batailles, pas même pour sa propre survie ; c’était tout à son honneur. Il était seul désormais. Les quelques Orques qui avaient survécu étaient parvenus à s’échapper, laissant ainsi leur chef au beau milieu du combat. Le grand Orque basané, couvert de cicatrices sur ses avant-bras et son visage, cracha par terre pour provoquer l’ennemi qui avait permis à lui seul de détruire son armée, pourtant en surnombre.
Shagrok avait retiré sa longue cape, que le vent faisait claquer ; autrefois d’un noir de jais, elle était maintenant couverte de sang et de boue. Le Nain se présenta en face de lui, hache en mains. L’Orque sorti sa longue épée de son fourreau et se battit honorablement, à la manière de ceux qui possèdent le pouvoir dans son peuple, dans une main une épée et dans l’autre un setmaï, long poignard à lame ondulée et garde en os terminée par une dragonne.
Le combat dura des heures, aucun des combattants ne prenant l’avantage sur l’autre, un véritable combat de titans. La seule chose qui permis au Nain de tenir était les encouragements de ses frères d’armes, qui formaient un cercle autour des deux guerriers. Il prit l’avantage quand l’épée du seigneur orque se brisa à la garde. Ne pouvant plus tenir son adversaire à distance, Shagrok s’avança pour le poignarder, mais il ne fut pas assez prompt à l’attaquer et le plat de la hache du Nain vint percuter violemment son visage, l’assommant sur le coup.
Par la suite, les faits d’armes de leur héros et la capture d’un chef ennemi aiguillonnèrent les armées Naines, qui furent victorieuses en maintes endroits contre bon nombre d’ennemis. A la fin de la guerre, il revînt chez lui pour retrouver sa femme et son fils, qui eut enfin le plaisir de connaître son père. Mais les retrouvailles furent de courte durée… Les Gobelins avaient creusé de nombreuses galeries parallèles à celles des Nains sous la Montagne en Flammes ; à partir de celle-ci, ils rejoignaient leurs tunnels et tentaient contre eux des attaques en force.
Cela faisait déjà quatre semaines que le Chef de Guerre Nain était rentré chez lui, et nul trouble d’aucune sorte ne s’était encore présenté. Que les Gobelins n’aient pas attaqué le Dünd depuis tout ce temps était étrange, mais le Nain était plongé dans un tel bonheur depuis qu’il avait retrouvé sa famille qu’il ne songea même pas qu’un événement tragique puisse venir troubler des instants si parfaits. Sa femme l’aimait, il avait retrouvé son fils de six ans, auquel il faisait faire des promenades dans les couloirs tortueux du Dünd. Il lui fit visiter les mines, les commerces et les forges, lieu où il devrait travailler quand il en aurait l’âge, puisque l’on était forgeron-guerrier de père en fils dans la famille. Tout le monde aimait bien le petit Hüdüm, un enfant si gentil et si bien élevé, qui s’intéressait à tout sans être d’une curiosité maladive.
« Il est très gentil, ce petit » disait Brogrek Barbe-Rouge (le Roi du Dünd qui avait laissé sa place à Morgril un an auparavant, parce qu’il se trouvait trop vieux pour ce travail. « Il faut du sang neuf sur ce trône » lui avait-il dit en lui remettant la couronne…) «Crois que tu en feras un guerrier, Morgril? lui demanda l’ancien Roi. Il est beaucoup trop sage.
- Il sera un guerrier uniquement s’il le souhaite, mais jamais je ne lui imposerais ce choix. Chaque nuit quand je dors, je vois des têtes que j’ai tranchées, des Hommes que j’ai éventrés, et je n’ai pas envie qu’il subisse cela lui aussi. Je préfèrerais qu’il vive heureux dans un monde sans guerres…
- Nous avons tous souhaité cela un jour, mais ce n’est qu’utopie. Tant qu’il y aura des peuples différents dans le monde, il y aura des guerres. Et même s’il n’y avait que des Nains, ils trouveraient bien le moyen de s’entretuer !
- Père, les interrompit Hüdüm, j’ai entendu un bruit bizarre.
- Quoi donc ? lui demanda son père.
- Un bruit comme quelqu’un qui vomit…
- Nous allons rentrer, Brogrek, il doit être fatigué. »
Ils s’étaient rencontrés devant la demeure de Morgril, aussi n’eurent-ils pas beaucoup de chemin à faire pour rentrer.
« Vous êtes déjà de retour ! s’étonna Soenia, l’épouse de Morgril.
- Hüdüm est fatigué, il entend des bruits que personne d’autre n’entend.
- Je ne suis pas fatigué, père, protesta l’accusé. Je l’entend encore.
- Tu as entendu quelque chose toi ? demanda-t-il à sa femme.
Soenia haussa les épaules.
- Tu vois que tu es fatigué, lui dit-elle. »
Elle l’emmena alors dans sa chambre pour qu’il se repose. Pourtant, ils auraient dû se fier à lui, car il y avait bien des bruits étranges…
Jusqu’à lors les Nains avaient toujours entendu les Gobelins quand ils s’apprêtaient à attaquer, car les bruits de leurs pioches sur la pierre étaient facilement audibles. Seulement, ils n’avaient pas pensé qu’ils puissent faire preuve d’une sournoiserie « digne des Elfes », comme le disent les Anciens qui ont participé à la Grande Guerre : les Gobelins avaient entraîné un Troll des Montagnes à déverser le contenu de son estomac sur les parois de pierre des grottes. Il est bien connu que les Trolls peuvent même digérer les armures des soldats qu’ils dévorent, aussi la pierre n’était pas un obstacle pour leurs sucs gastriques. Au bout de quelques temps, les parois, larges de près de trois pas, devinrent épaisses de moins d’une largeur de pouce. Adorant semer la confusion, ils attaquèrent quand la nuit fut venue.
Rlongk, le dieu de la chance, ne fut pas avec Morgril cette nuit-là, puisque l’attaque pris place dans la chambre où il dormait avec sa femme. Il était très tard quand l’attaque débuta : la paroi, rendue assez fine par les sucs gastriques du Troll, céda sous ses coups. D’innombrables Gobelins envahirent la pièce, réveillant le petit Hüdüm, à qui son père, bloqué sous une roche tombée du plafond, hurla d’aller chercher du secours. Coincé des genoux jusqu’aux poumons, il assistait, impuissant, au déploiement des troupes Gobelines dans la pièce. Les créatures riaient en le regardant se débattre sous son rocher.
Il vît également le Troll se retourner contre ses dresseurs et les étouffer dans ses grosses mains à quatre doigts griffus ; il le vit emporter Soenia, qui essayait vainement de se défendre entre les griffes du monstre. Elle pencha la tête comme si elle allait mourir, demandant à Morgril de l’aider, avant de sombrer dans le néant.
Les renforts arrivèrent rapidement, mais peut-être pas assez…L’assaut fut repoussé avec vigueur, et Morgril extrait de sous la roche. Malgré ses poumons qui lui faisaient soudain affreusement mal, il courut droit sur le monstre pour libérer sa femme. D’un coup de hache, il trancha le bras du Troll qui la retenait prisonnière. Le cri de douleur de la bête fut entendu jusque dans les mines de cuivre, de l’autre côté du Dünd.
Les Nains reculèrent d’effroi lorsqu’ils virent que le membre du monstre non seulement ne la lâchait pas mais en plus avait des soubresauts . L’infâme créature le ramassa à l’aide de son bras valide et le remit là où il avait été sectionné. Elle prononça une incantation dans une langue gutturale étrange et une pâle lueur rouge jaillit de la blessure. Les chairs se soudèrent pour ne laisser qu’une fine cicatrice là où le membre de la bête avait été, seulement quelques instants, séparé de son corps. La main valide du Troll vînt s’abattre avec violence sur le poitrail de Morgril, qui traversa pour la première fois sa chambre sans poser un pied sur le sol. Il se fracassa sur la paroi rocheuses et tomba au sol. Dans ses derniers instants de lucidité, il vit un rictus démoniaque se figer sur le visage du monstre alors que celui-ci resserrait son étreinte autour de Soenia. Tout ce que Morgril put faire, c’est entendre les os de celle qu’il aimait se briser, avant de tomber dans un coma profond.
Morgril paraissait en transe, ses yeux étaient d’un blanc vitreux et du sang coulait de ses lèvres entrouvertes. Il avait le teint pâle d’un mort. Son père Jorël venu en renfort avec les soldats de la Milice, lui prît le pouls, qui était lent mais régulier.
« Laissons le en paix, il va survivre mais il a besoin d’air », dit-il aux Nains attroupés dans la pièce pour qu’il s’en aillent.
Une fois qu’ils furent tous partis, le vieillard alla vers son fils et lui posa la main sur le ventre :
« C’est à toi de faire ton œuvre à présent! », lui dit-il avant de se retirer lui aussi.
Après plusieurs heures, Morgril se réveilla en pleine possession de ses moyens et jura sur le Livre de l’Oubli familial de traquer cette immonde créature jusqu’à ce que sa tête hideuse roule à ses pieds. Il confia l’éducation de son fils à son père Jorël et parti pour son long exil.

Le Nain était enfin arrivé au sommet. Il y faisait froid, mais il ne s’en soucia pas. Il était fatigué et mangea ses provisions pour recouvrer un peu ses forces. Un Troll n’est pas un ennemi que l’on peut se permettre d’affronter en mauvaise condition physique. Il n’y voyait pas grand chose à cette heure de la nuit, il savait qu’il n’aurait aucune chance de vaincre un ennemi conditionné pour vivre de façon nocturne. Il avança à tâtons pendant quelques minutes et sentit soudain un souffle d’air frais sur sa nuque. Il pensa un instant que c’était la créature qui s’apprêtait à lui briser le cou dans le noir, mais il se ravisa aussitôt.
« Réfléchis un peu, pensa-t-il, l’haleine d’un Troll ne serait certainement pas aussi fraîche et agréable! »
Ce souffle était en fait un courant d’air provoqué par une grotte juste à côté de lui, probablement l’antre de la bête. Il y entra sans se poser de questions. Une odeur beaucoup moins agréable que tout à l’heure le prît à la gorge, celle des cadavres en décomposition. C’étaient pour la plupart des guerriers, venus de pays bien différents étant donné les armoiries que portaient leurs habits et leurs boucliers. Il était clair qu’ils n’avaient pas été dévorés, sinon aucune trace d’eux n’aurait été visible. On aurait dis que la bête les aurait laissés pourrir après les avoir sauvagement massacrés, à moins qu’elle ne préfère sa viande très faisandée…
Morgril remarqua que l’un des cadavres tenait une vieille lampe à huile vide, et qu’à sa ceinture était accrochée une petite fiole, qui devait certainement contenir le liquide nécessaire à son fonctionnement. Il se saisit des deux objets et vida le contenu de la fiole dans la lampe. Le Nain empoigna sa hache et s’en servit pour couper un petit morceau de sa corde, avec laquelle il fît une nouvelle mèche pour sa trouvaille. Cognant deux pierres l’une contre l’autre plusieurs fois sans succès, il arriva tout de même à allumer la mèche, qui répandit sa faible lumière partout dans la grotte. Morgril voyait désormais beaucoup mieux, mais il savait que la bête était là et qu’elle l’avait d’ors et déjà repéré. Le Troll arriva nonchalamment vers celui qui venait troubler la quiétude de sa tanière. C’était une femelle couverte de bijoux, qui avaient dû appartenir aux Hommes morts qui jonchaient le sol de sa grotte. Les cicatrices sur son ventre était le signe qu’elle avait perdu son petit (en effet, les mâles mutilaient la mère de leur progéniture si elle venait à mourir).
Morgril pensa que les Gobelins enlevaient les petits des Trolls pour les forcer à se battre pour eux, et il eut soudain envie de pardonner ses actes à cette femelle, puisque si on lui avait enlevé son fils, lui aussi aurait été prêt à tout pour le récupérer. Il voulut être indulgent ; c’était à cause d’elle que sa femme était morte, mais c’était peut-être à cause de lui que cette mère avait perdu son petit. Le Nain savait que ces bêtes pouvaient parler, de façon rudimentaire certes, et qu’elles étaient capables de comprendre ce que l’on pouvait leur dire. Aussi se risqua-t-il à lui parler, ayant planté sa hache dans le sol en signe de paix :
« Troll, dit-il, je sais ce qui t’es arrivé ! »
La bête fut étonnée : rarement quelqu’un en armes n’avait essayé de lui parler. Elle décida de laisser sa chance au petit être qu’elle voyait en face d’elle.
« Toi parler vite avant que moi te tuer !, lui dit-elle de sa voix caverneuse.
- Je sais que tu as perdu ton petit (la bête rugit au rappel de ce souvenir douloureux) et que ton mâle t’as puni pour cela ! Je veux juste savoir le travail que les Gobelins t’avaient ordonné de faire. »
Des larmes coulaient des yeux à trois paupières du monstre et glissaient sur sa peau couverte d’excroissances et de verrues.
« Eux demander moi casser paroi de pierre et tuer femme Nain qui être derrière, mais moi pas pouvoir tuer, et partir avec femme pour faire croire que elle morte. Eux pas croire et tuer mon petit. Mais moi garder femme et nourrir elle pour que elle pas mourir et pas perdre son petit comme moi.
- Si tu avais fait ce qu’il demandaient, ils l’auraient quand même tué, lui dit Morgril pour qu’elle se sente moins responsable. C’était ma femme qui était dans cette chambre, je me suis exilé de chez moi et j’ai abandonné mon fils à mon père pour te retrouver et venger sa mort !
- Pas besoin venger, elle pas morte. Moi penser faire bien en gardant elle ici, penser la protéger des méchants Gobelins qui vouloir la tuer, moi penser qu’un jour son mâle venir la chercher.
- Je ne pensais pas que votre race puisse être capable de sentiments, lui déclara Morgril.
- Moi penser pareil de vous, mais femme Naine avoir été gentille avec moi, parler avec Troll comme vous le faire et apprendre moi parler un peu mieux. Raconter vie heureuse avec mari, comme moi avant que lui perdre petit et devenir méchant et violent ; lui parti maintenant mais vous ici, et moi rendre Soenia à vous, Nain gentil.
- Je m’appelle Morgril, Troll…amie.
- Moi m’appeler Vorka. Vorka être amie de Morgril maintenant!
- Et Morgril est l’ami de Vorka désormais. Si tu le veux, nos peuples entiers pourraient être amis.
- Nous être amis car toi différent des tiens et moi différente des miens. Troll pas laisser temps pour parler aux Nains, se battre tout de suite ; et Nains pas vouloir parler aux Trolls toute façon. Mais Vorka fidèle en amitié, si toi avoir problèmes, moi t’aider.
- Une amitié pareille ne peut se refuser! lui répondit Morgril, alors accepte un Nain parmi tes amis, et si toi aussi tu as des ennuis, compte sur moi pour t’aider du mieux que je pourrais. Puis je voir ma femme maintenant ? demanda-t-il en ramassant sa hache .»
Vorka l’emmena dans les profondeurs de sa tanière, où Morgril entendit une voix familière :
« C’est toi Vorka? demanda-t-elle.
- Oui, répondit la femelle Troll, moi amener toi cadeau!
- Encore un cadeau, je n’ai plus de place pour les mettre!
- J’essaierai de ne pas trop en prendre…déclara Morgril. »

Des larmes coulaient sur les joues de Soenia quand elle sauta au cou de son mari, qui la serra tendrement dans ses bras. Vorka regardait d’un air attendri le couple qui venait enfin de se retrouver. Morgril était si heureux de revoir celle qu’il aimait et qu’il croyait avoir perdue à jamais. A aucun moment dans sa vie, le Nain n’avait connu un tel bonheur, même lors de son retour après la Guerre de Raksagor. La seule chose qui pouvait altérer sa joie était l’absence de son fils.

Dans leur bonheur, ils ne virent pas l’homme qui venait d’apparaître dans la caverne. Entièrement vêtu de noir à la mode des Assassins, il était invisible dans la pénombre et commença à réciter une étrange litanie. Les cadavres qui jonchaient le sol revinrent à la vie et se déplacèrent avec aisance, comme s’ils étaient faits de chair invisible autour de vieux os jaunis. Ramassant leurs armes rouillées, ils se dirigèrent vers les trois occupants de la caverne.
Vorka prévint Morgril que des horreurs mort-vivantes arrivaient sur eux. Se saisissant de hache, le Nain courut droit sur ses assaillants.
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  #4  
Vieux 23/11/2004, 12h26
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grogramane mange des frites avec Moule Boygrogramane mange des frites avec Moule Boygrogramane mange des frites avec Moule Boygrogramane mange des frites avec Moule Boygrogramane mange des frites avec Moule Boygrogramane mange des frites avec Moule Boygrogramane mange des frites avec Moule Boygrogramane mange des frites avec Moule Boygrogramane mange des frites avec Moule Boygrogramane mange des frites avec Moule Boygrogramane mange des frites avec Moule Boy
ben...et la suite?c'est qui ce nécromancien? il est au service des gobelins? Ou est ce seullement un test?
__________________
"l'homme qui a perdu la faculté de s'émerveiller et d'etre frappé de respect est comme s'il avait cessé de vivre" A.Einstein

Excusez mon humour de chiottes mais c'est parce que j'y mets tous les déchets de mes sentiments.
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  #5  
Vieux 29/11/2004, 01h43
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Ca arrive, navré. Mais manifestez-vous si vous lisez.
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