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Vieux 06/07/2008, 23h29
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Ben Wawe met la patée à GalactusBen Wawe met la patée à GalactusBen Wawe met la patée à GalactusBen Wawe met la patée à GalactusBen Wawe met la patée à GalactusBen Wawe met la patée à GalactusBen Wawe met la patée à GalactusBen Wawe met la patée à GalactusBen Wawe met la patée à GalactusBen Wawe met la patée à GalactusBen Wawe met la patée à Galactus
Salut à tous. J'avais envie d'écrire aujourd'hui un récit sur un aveugle qui perdait bien, limite de tâter du Daredevil, et finalement au fil des réflexions ça a donné un petit récit d'horreur. Ceux qui me lisent un peu verront qu'un personnage est déjà apparu il y a peu. Bonne lecture à tous.


Le Noir et les pavés.

On dit que l’enfer est pavé de bonnes intentions ; mais comment font les aveugles pour s’y déplacer ?

C’était la question que n’avait pas arrêté de se poser Mike Mardock depuis qu’il avait été assez grand pour comprendre que dans ce monde, on n’aidait pas les faibles, on s’acharnait sur eux pour le fun. Il était aveugle et n’avait pas eu une vie facile, loin de là : il avait été élevé dans le Bronx, le vrai, celui où on n’avait que deux façons de passer la récréation, à taper les autres ou à se faire taper par eux. Ses parents n’avaient pas pu assurer son avenir comme ils auraient dû, coincés dans des boulots minables et des soucis bien trop complexes pour des petites gens comme eux. Ils étaient tombés dans l’alcool, la dépression et les plaisirs faciles, et rapidement son père avait disparu sans laisser de trace et sa mère s’était mise à sortir bien tard la nuit pour payer un peu à manger.

Mike avait grandi en voyant ses exemples s’engager dans la misère et découvrir que la vie n’était pas aussi belle que dans les contes de fée. Sa mère lui en avait beaucoup lu quand il avait été petit, mais elle s’était soudainement arrêtée quand la bouteille avait été sa nouvelle passion et l’ouverture de jambes son nouveau sport quotidien. Il en avait été grandement peiné, mais il n’avait rien dit : ça n’aurait servi à rien, et il aurait sûrement pris une correction en récompense.

Le petit gamin du Bronx avait donc tenté de poursuivre ses études tranquillement, mais c’était sans compter le quartier et ceux qui y faisaient régner leur loi : rapidement, on l’avait insulté sur sa mère et on lui avait demandé des choses étranges qu’il n’avait pas compris, lui l’enfant d’à peine dix ans. Pour lui, sa mère était une sainte qui travaillait dur et tard le soir, mais il ne savait pas à quoi. Il avait escompté qu’elle arrête un jour pour mieux s’occuper de lui, mais ça avait toujours semblé impossible ; néanmoins, il avait quand même gardé cet espoir qu’elle soit à nouveau heureuse.

Chaque jour, il se battait pour que son rêve devienne réalité : il travaillait autant qu’il pouvait à l’école, il ne traînait pas dehors, il ne se battait pas et refusait les offres des types louches. Il faisait vraiment tout pour que sa mère sourît à nouveau, mais même si c’était arrivé par la suite, jamais il n’aurait pu le voir : un soir en rentrant chez lui, en ayant encore une fois décliné la proposition de faire du trafic pour des grands, il fut catapulté dans une impasse, entouré de bras et passé à tabac. Il fut frappé, frappé et encore frappé, jusqu’à ce qu’il en pleure et hurle au secours, mais personne ne vint l’aider.
Pas une personne ne sortit de chez soi pour venir secours le petit garçon qui se faisait brutaliser, violer et qui gémissait comme un animal. Ses yeux étaient remplis de larmes, et pour « l’aider », ses bourreaux lui firent un « cadeau » : d’un geste rageur, l’un d’eux taillada ses yeux pour qu’il arrête de pleurer. Comme ça, il se comporterait enfin comme un homme…comme ça, il en serait enfin un.

Malgré la douleur, malgré l’humiliation, Mike avait réussi à se relever, à remonter un peu son pantalon descendu à la hâte et à marcher vers la rue, où une des rares voitures de police du quartier l’avait recueilli à la fin de sa ronde trop rapide. Il avait été immédiatement amené à l’hôpital, mais les dégâts étaient considérables : il avait mis bien trop longtemps à aller vers des secours, et personne ne pouvait sauver ses yeux. Son visage était massacré par une immonde balafre qui ferait bien rire les responsables de son malheur, certains d’avoir fait une faveur au petit garçon en le faisant plonger plus rapidement dans le monde adulte.

La mère de Mike ne vint même pas le voir à l’hôpital : ce fut à peine si elle comprit ce qui lui était arrivé. Non pas qu’elle ne l’aimait pas, au contraire elle avait toujours été folle de son petit garçon, mais le problème était qu’elle devait boire et prendre des pilules continuellement pour travailler selon les déclarations de son fils, et qu’elle n’arrivait parfois plus à savoir si la chose qui parlait continuellement devant elle était le père de Mike ou simplement la télévision…elle avait du mal avec les statuts des choses, selon lui. Il ne lui en voulait donc pas de n’être pas venu le voir, et rentra tout seul quelques jours après, aidé par une canne et une gentille dame d’une association pour les aveugles.

Aveugle. Il avait appris à détester ce mot.
Au départ, il n’avait pas bien compris ce que ça voulait dire : durant les deux premiers jours, il avait cru qu’il dormait et que c’était pour ça qu’il ne voyait plus rien. Il s’était amusé à entendre des gens parler autour de lui, à faire attention à lui. Il avait déjà rêvé ce genre de choses, et ça lui plaisait bien parce que ça changeait de sa mère qui travaillait de trop pour l’aider vraiment. Mais au bout de ce temps-là, il avait quand même trouvé que ça durait beaucoup, et quand il avait compris que ce n’était pas un rêve, il avait crié pendant des heures entières pour faire cesser ça. Il avait espéré qu’en faisant peur au Noir, celui-ci partirait mais le Noir restait toujours : ça faisait quinze-ans maintenant qu’il était son seul repère dans ce monde, et il ne lui pardonnait toujours pas de s’être immiscé dans son existence.

Mike avait pleuré pendant le reste de son séjour à l’hôpital, mais avait quand même accepté d’écouter ce qu’on avait à lui dire : il savait que sa mère ne viendrait pas et qu’elle serait trop fatiguée pour prendre des notes. Il avait donc entendu avec attention ce que les médecins lui avaient annoncé, et avaient encore une fois explosé en larmes quand il avait compris ce qu’il allait subir pour le reste de ses jours. A dix ans, on a l’impression qu’on a toute la vie devant nous, mais à cet âge-là, le petit garçon se rendit compte que son existence allait être tout simplement un enfer, et qu’il ne pourrait rien faire pour se défendre. Il allait devoir grandir dans le Bronx en étant encore plus faible qu’auparavant, et rien ne viendrait le sauver. Pour lui, ça avait été comme si ce jour-là avait été sa mort : jamais plus il ne s’était considéré comme vivant par la suite.

Et malheureusement, les prévisions d’un petit garçon mort de peur s’avérèrent justes.

Sa mère tomba enceinte d’un de ses collègues de travail selon elle, et elle quitta la maison un soir pour ne jamais revenir : Mike passa deux jours à attendre dans son lit qu’elle vienne le réveiller ou qu’elle crie pour ça, mais rien ne lui vint aux oreilles. Il ne parvenait pas à se lever tout seul sans ce cri, sans cette alerte ; même si elle n’avait jamais rien fait pour l’aider avec son handicap, elle avait toujours mis un point d’honneur à ce qu’il dorme bien, sans réveil stressant, juste la voix de sa mère pour lui dire qu’il était l’heure. Evidemment, le petit garçon avait ouvert les yeux et s’était éveillé au bout d’un moment, mais aucune nouvelle de sa mère. Ce fut la voisine qui, alertée par ses cris désespérés, alerta la police. Les policiers le trouvèrent dans son lit, incapable de bouger, tétanisé de peur à l’idée que sa mère ait subi quelque chose de grave.
Il apprendra des années plus tard qu’elle avait été retrouvée dans une clinique illégale, morte parce qu’un boucher avait voulu l’avorter sur demande de son « collègue de travail », un maquereau notoire qui était depuis porté disparu. Un pas de plus sur les pavés, selon lui.

Après cela, le petit garçon avait été envoyé à l’orphelinat et les choses étaient devenues pire encore. Lui qui avait plus ou moins réussi à s’habituer aux tabassages quotidiens, aux humiliations constantes, au désarroi des gentils adultes qui voulaient l’aider mais ne pouvaient être là tout le temps avec lui était tombé dans un monde encore plus dur et cruel que celui de la rue. A l’orphelinat, personne ne faisait de cadeau à personne : tout se monnayait, tout s’achetait…tout se vendait. Si on n’avait rien, si on n’avait pas d’atout pour survivre, on n’était que de la marchandise pour les grands, et Mike le découvrit bien trop rapidement.

Il fut frappé, violenté et pire encore jusqu’au moment où il s’enfuit, incapable d’en supporter plus. Lui qui avait passé des mois à apprendre comment user seul de sa canne, lui qui avait enduré mille douleurs et appréhensions pour se déplacer dans les rues avec ses autres sens comme seuls repères n’avait plus pu endurer tout ça. Il connaissait l’orphelinat par cœur, et pouvait même encore détailler chaque recoin avec précision aujourd’hui, et il était parti dans la nuit, loin de tout ça.
Seulement muni de sa canne, des lunettes de soleil évidemment cassées, il s’était engouffré dans les ténèbres froides, celles qu’il connaissait depuis son enfance. Cette nuit-là, il devint véritablement adulte à dix-sept ans, et décida de se venger de ceux qui lui avaient fait du mal. Mais il ne savait pas encore comment.

Il avait bien pensé à s’entraîner, à devenir un combattant hors pair comme Daredevil, le personnage de comics lui aussi aveugle, mais il avait vite compris après ses piètres efforts dans une salle de boxe où il avait été la risée de tout le monde que tout ça n’était que de la fiction. Il était petit, maigre, peu souple et surtout avait des séquelles des violences subies auparavant : il se déplaçait difficilement à cause d’une sale blessure à la jambe droite et de problèmes au postérieur, et surtout il n’arrivait presque pas à déplier entièrement son bras gauche après que quelqu’un l’ait cassé et qu’il se soit « guéri » tout seul. Il avait été tellement tabassé dans son enfance que tout son corps était une souffrance, et il était conscient que cette voie-là n’était pas la bonne.

Seul, perdu dans les rues de la ville, sursautant à chaque bruit et mangeant trop peu, Mike était destiné à mourir jeune…et à ne jamais se venger. Ça avait été la seule véritable motivation pour lui pour survivre : retrouver ceux qui lui avaient fait du mal et les faire payer. Il n’avait aucune envie d’avoir une vie meilleure, il ne voulait pas décrocher la lune et être heureux : toute son existence n’avait été que douleur et peine, et il n’envisageait que la revanche comme futur.
Toute cette haine avait été son moteur pour avancer, et c’était ainsi qu’il avait rencontré Han.

Il n’avait jamais su quel était le nom de famille de Han ; il n’avait jamais compris pourquoi cet homme rencontré dans la rue alors qu’il cherchait à aller vers une des grandes artères de la ville et se dirigeait vers un cul de sac l’avait aidé ; il n’avait jamais saisi l’intérêt pour lui de s’occuper d’un pauvre aveugle, n’ayant pas eu les soins et l’amour nécessaires pour voir la vie autrement que dans une version cruelle et intéressée. Han avait fait acte de bonté envers lui, et c’était la première personne depuis sa mère qui ne s’était pas moqué de lui ou ne l’avait pas utilisé.

Il l’avait recueilli malgré les protestations du jeune homme, et lui avait donné un foyer, de la douceur et à manger, choses que Mike ne connaissait plus et n’avait finalement pas vraiment connu : même si il avait vécu avec sa mère et un tout petit peu son père, jamais cela n’avait été en sécurité et dans de bons termes. Il avait le droit avec Han à tout ce qu’un être humain pouvait attendre de la vie, mais comme c’était la première fois pour lui, il le voyait comme son sauveur et un être hors du commun.
De plus, Han ne lui demandait rien en retour : ni trafic, ni saletés nocturnes, ni don de sa nourriture au réfectoire…rien. Tout ce qu’il avait intégré par l’expérience difficile de son passé volait en éclats grâce à lui, et il avait réappris à sourire. Même si le Noir était toujours là, même si son vieil ennemi continuait de rire de lui et de le vaincre dès qu’il ouvrait les yeux pour être encore plongé dans l’obscurité, celle-ci semblait moins froide et dure quand il était avec Han.

Mais son bienfaiteur n’avait pas fait que lui redonner goût à l’existence : il lui avait aussi donné un moyen de se venger. Même si il avait découvert le bonheur de vivre et commencé à oublier les horaires de son passé, le jeune Mike n’avait pas perdu le goût de la vengeance et Han avait exacerbé cela en leur faisant comprendre qu’ils ne pouvaient pas s’en sortir comme ça…que ceux responsables de ses malheurs ne devaient pas être libres et heureux après ce qu’ils lui avaient fait subir. Peu à peu, Mike avait développé une haine encore plus intense que celle qu’il avait eue au départ, et avait fait le vœu de tout faire, d’absolument tout faire pour trouver un moyen pour se venger.

Pour lui, même si la vie avec Han était belle, il était prêt à tout sacrifier pour faire souffrir ses bourreaux. Il était même prêt à tuer pour parvenir à cela. Et on aurait dit que c’était exactement ce que Han avait attendu depuis le début.

A partir de là, dès le lendemain de cette soirée funeste où Mike avait fait cette terrible déclaration, Han lui avait montré les moyens pour parvenir à ses fins. Il ne l’avait jamais su, mais son bienfaiteur était un grand amateur d’occultisme et se vantait d’avoir la plus grande bibliothèque spécialisée en cela de tout le pays : des rayonnages entiers étaient occupés par des œuvres expliquant comment invoquer des démons, occire ses ennemis dans les pires douleurs, maudire une famille, détruire une âme…tout ce que Mike rêvait pour ceux qui lui avaient fait du mal.
En passant ses mains sur les couvertures, en se baladant entre les différents étages de cette salle qui était sur les trois niveaux de la maison de Han, il s’imaginait combien il pourrait faire souffrir ces monstres, comment il pourrait les entendre le supplier comme eux l’avaient entendus faire cela quand ils s’en étaient pris à lui…et il sourit. Il sourit tellement qu’il faillit en avoir mal, jusqu’à ce qu’il se rende compte que tout ça lui était inutile : il ne pourrait jamais user de ces merveilleux livres pour se venger. Il ne pourrait jamais recevoir ce qu’il attendait depuis des années. Il était aveugle.

En se rendant compte que son handicap, en plus d’avoir ruiné sa vie, ruinait aussi sa vengeance, Mike ne pouvait rester calme. Les dents serrées, il jeta sa canne dans la pièce de rage, et se précipita sur plusieurs volumes pour les faire tomber au sol. Il haïssait ces livres qui avaient été de véritables miracles quelques secondes plus tôt : ils n’étaient là que pour le narguer, que pour lui faire miroiter des choses qu’il n’aurait jamais. Il ne pouvait le supporter.

Hargneux, violent, il se mit à arracher des pages et des pages de livres en criant sur Han et sur sa mauvaise fortune ; il en voulait à la Terre entière, il en voulait à Dieu, à tous ceux qui l’avaient un jour croisés sans achever ses souffrances. C’était tout ce qu’il voulait, maintenant : mourir. Sans aucune possibilité pour lui de se venger, sans cette chance d’assouvir enfin son désir le plus cher, il ne voyait aucune raison de continuer à vivre.
Tout ce qu’il voulait pouvait être obtenu par ce qui se trouvait dans cette pièce, mais ça lui était interdit. Il aurait été prêt à tout pour changer cela.

Ce fut à ce moment-là que Han posa sa main sur son épaule et lui annonça qu’il y avait une solution : il avait fait traduire ses grimoires en braille…pour lui. Mike n’en croyait pas ses oreilles, il refusait de croire que c’était possible, que son sauveur lui faisait encore le plus beau des cadeaux alors qu’il venait de saccager plusieurs œuvres au prix monstrueux. Il se jeta à ses pieds pour lui demander pardon, mais déjà celui-ci l’aidait à se relever en riant : non, il n’avait rien fait de si terrible. Ils n’étaient même pas dans la bibliothèque où il entreposait ses plus précieux livres, ils étaient juste dans celle où se trouvaient les récits « normaux ». Il avait voulu voir si il avait le degré de détermination et de rage suffisant pour se lancer là-dedans, et c’était le cas : ça avait été une sorte de test, et Mike l’avait réussi.

Avec soulagement, et même si il ne comprenait pas bien l’intérêt pour Han de faire tout ça pour lui, le jeune Mike se lança donc dans l’étude précise des livres de son ami. Celui-ci décida alors de le laisser seul dans la maison, ne revenant qu’une fois par année à la même date, pour voir si il avait besoin de quelque chose. Il semblait immensément riche et n’avait aucun remords à laisser sa demeure de New York à quelqu’un qu’il ne connaissait pas et à qui il avait réellement donné une vie…si pas La vie.
Pour Mike, son existence n’avait commencée qu’au jour de sa rencontre avec Han ; il était comme sa mère, son père et son Dieu. Il aurait tout fait pour lui et mettait le plus d’ardeur possible à son étude.

Ainsi, Mike vivait tranquillement : un majordome se tenait à ses côtés pour l’aider, et il avait rapidement pris ses marques dans la maison. Pour quelqu’un d’aveugle, habitué à vivre dans la rue et à donc devoir trouver assez vite des moyens de se diriger et de se repérer, ça avait été facile et il pouvait maintenant se mouvoir seul dans tous les étages de la bibliothèque, ainsi que son annexe plus secrète, placée derrière une porte à côté d’un rayonnage. Il était très difficile de voir cette entrée de loin, et ça avait été exactement le souhait de Han : il voulait un petit havre de paix rien qu’à lui, visible pour ceux qui prenaient le temps de respecter sa bibliothèque en l’observant véritablement, mais inexistant pour les gens pressés qui refusaient de profiter de la vie et de ses cadeaux.

Il passa donc huit années comme cela, lisant, réfléchissant, apprenant, s’exerçant même, et il savait que chaque jour passé, sa puissance augmentait. Il sentait un feu terrible en lui, qui le rongeait dès qu’il appréhendait un nouveau concept, une nouvelle possibilité de faire souffrir ses alliés. Han lui répétait bien à chacune de ses visites de faire attention, de ne rien tenter sans sa présence et surtout de ne jamais essayer de lier des conversations avec les êtres cités dans les pages traduites, mais parfois…parfois, la tentation était forte.

Mike était seul face à un savoir incommensurable et n’avait qu’une seule envie : s’en servir. Il était plus que redevable envers Han de tout ce qu’il avait fait pour lui, mais le seul but de son existence était de faire souffrir ses bourreaux. Il savait que les gens ne trouvaient pas ça Bien, mais qu’est-ce qu’ils savaient du Bien ou du Mal ? Ils ne connaissaient que les traditionnelles définitions religieuses ou sociétales, alors que lui avait regardé l’horreur personnifiée et fait maintes fois l’expérience du Mal : c’était la dernière chose qu’il avait vue avant que le Noir, que son vieil ennemi ne prenne le pouvoir. Il le narguait toujours en le faisant réveiller la nuit et en le forçant à allumer la lampe, son cœur prêt à exploser en espérant qu’il reverrait enfin la lumière ; comme toujours, la déception était aussi grande que ses attentes et il fondait en larmes.
Des monstres avaient massacrés sa vie, et d’autres pires encore avaient détruits sa mère. Les gens ne pouvaient comprendre sa douleur et ses envies car ils étaient trop protégés, à l’abri derrière leurs grands murs et leurs comptes en banque. Il était l’exemple typique du pourrissement de cette terre, et il n’avait aucune raison de tendre l’autre joue à ceux qui avaient fait ça.

Ce soir-là, en face de lui, se trouvait une formule : simple, assez belle aux oreilles si on la récitait à haute voix, elle semblait assez basique par sa longueur et son vocabulaire, mais c’était totalement faux. Mike avait rapidement compris dans ses études que les grandes échappées lyriques ne valaient pas grand-chose dans la matière qu’il apprenait, et que c’était plus les petites phrases rapides et fortes qui donnaient le plus de résultat. Il se trouvait donc avec l’une d’entre elles, et elle pouvait invoquer quelqu’un qui pourrait l’aider…un démon. Un démon de la Souffrance, pour être exact.

La Souffrance, comme Han le lui avait expliqué, était une des Guildes de l’Enfer, ces grandes assemblées de démons qui s’étaient réunis jadis pour former les Légions du Diable, Lucifer, Satan ou quelque soit le nom qu’on voulait lui donner. Celui-ci avait réuni ses armées pour combattre, mais jamais elles n’avaient bougées : depuis des siècles, elles restaient en état de guerre, sans aucune cible à attaquer. Et comme à chaque fois que des soldats sont obligés de rester quelque part sans rien faire, certains des démons acceptaient d’être invoqués pour régler les problèmes des mortels et être payés en retour : il fallait bien s’occuper.

Mike savait qu’en invoquant ce démon et en lui offrant son âme, celui-ci le vengerait et il aurait enfin ce qu’il attendait le plus au monde. Mais ça aurait été aller contre les ordres de Han, et donc trahir son ami, celui qui avait tout fait pour lui ; celui qui l’avait « mis au monde » et emmené dans cette voie qui était désormais la sienne. Agir ainsi serait trahir son sauveur, et il hésitait : il en avait envie, mais voulait respecter l’homme à qui il devait tout.
Evidemment, il aurait pu l’attendre : ça aurait été simple, Han serait normalement revenu trois mois plus tard. Mais Mike ne se voyait pas rester devant cette formule tout ce temps…ça aurait été une torture trop forte. Ses doigts tremblaient devant la feuille remplie de braille, et il savait déjà ce qu’il allait faire. Même si c’était une trahison, même si Han ne serait pas content, il ne pouvait plus attendre : il devait le faire. Il avait attendu ça toute sa vie, et il ne pouvait passer à côté de cette occasion.

Lentement, les mots sortirent de sa bouche : en quelques secondes, Mike sentit tout son cœur trembler et son cœur battre d’excitation. Ses paroles semblaient flotter dans l’air, et les instants où il les prononça furent comme de l’extase pour lui : depuis ses débuts, il avait rêvé de ce moment ; enfin, il y parvenait.

A genoux, les bras en croix, il attendit l’arrivée du démon. Il ne connaissait pas vraiment la « procédure » pour ce genre de choses, et il louperait sûrement les effets magnifiques de l’apparition, mais ça n’était pas grave : il aurait sa vengeance, c’était tout ce qui comptait pour lui. Le sourire sur le visage, il laissa donc les secondes s’écouler lentement, jouissant à l’avance de la réalisation de son vœu.
Malheureusement, les secondes devinrent longues, mais il resta là, sûr de lui : ça allait fonctionner. Mais ces secondes longues devinrent très longues, aussi vite que des minutes…que plusieurs minutes…que plusieurs dizaines de minutes. Le démon ne venait pas. Malgré sa longue attente, aucun signe ne lui parvint, aucun son, aucune douleur : rien. Ça n’avait pas fonctionné.

Quelque peu énervé d’avoir ainsi perdu du temps et loupé la formule, Mike se remit à la formuler à haute voix, et attendit à nouveau…en pure perte. Comme avant, rien ne se produisit. Il la répéta plusieurs fois, attendit deux heures en la prononçant toutes les dix minutes, mais il n’y avait toujours aucun résultat, et il ne comprenait pas pourquoi. Il faisait exactement ce qu’il fallait : il prononçait bien chaque syllabe, inspirait et expirait bien quand il le fallait, y croyait plus que tout dès qu’il se lançait…il n’y avait rien de mauvais dans son invocation ! Il suivait à la lettre les conseils des livres et de Han !

Mike n’en pouvait plus. Il avait passé cinq heures à prononcer la formule comme il le fallait, mais ça ne fonctionna pas : ses rêves partaient en fumée. Tout ce qu’il avait espéré, tout ce qu’il avait rêvé culminait à ce moment-là, mais ça n’allait pas. Il était déçu, triste et anéantit : il avait mis toute son énergie, toute son envie de vivre dans la réalisation de cet instant, et il n’y arrivait pas.
Peut-être que la formule était mal recopiée, peut-être qu’il n’était pas assez bon, peut-être que rien de tout cela n’existait, mais le résultat était le même : Mike était à genoux, vaincu. Il pleurait lentement et en silence, comme un enfant.

Se laissant encore plus tomber au sol, n’arrivant même plus à tenir son corps droit, il explosa en sanglots et demanda d’une toute, toute petite voix à mourir : ça lui était déjà arrivé d’y songer, la nuit quand il se rappelait tout ce qu’il avait subi, mais il s’était toujours raccroché à son désir de vengeance, à la perspective d’y parvenir par ses études. Maintenant que tout était terminé, maintenant que tout lui semblait fichu, il ne voyait plus rien pour le garder sur Terre : il voulait juste qu’on le laisse tranquille et pouvoir se perdre dans ce Noir qu’il haïssait tant, mais qui lui semblait la seule solution à son enfer. Et le démon accepta sa requête.

En un instant, Mike sentit la vie quitter son cœur : il ne fallut que quelques secondes pour que son âme disparaisse de son corps et que celui-ci ne devienne plus qu’une masse immobile, son sang se figeant dans ses veines et l’air arrêtant de transiter par ses poumons. Il partit enfin définitivement sur les pavés de l'enfer, comme il le voulait et même si il n'y voyait rien : ça n'avait plus d'importance, maintenant. Le démon de la Souffrance avait accepté la demande de celui qui l’avait invoqué, mais il ne l’avait pas fait de si bon cœur : ça faisait cinq heures qu’il attendait que celui-ci lui indique son vœu, et il était plus qu’heureux de pouvoir l’accomplir, de prendre l’âme plus que facilement (c’était toujours difficile de prendre une âme à un vivant, alors qu’un enfant aurait pu capter celle d’un défunt, du moins si il pouvait voir l’âme sortir du corps et la voler comme lui et ses congénères en avaient la possibilité) et de lui faire payer son attente en même temps.
Ceci fait, il quitta en silence la bibliothèque, laissant là son ancien « employeur » et victime, avec le sentiment du travail bien fait.

C’était Han qui avait tout expliqué de la Souffrance et des Guildes à Mike, mais il avait volontairement omis un petit détail : ils étaient silencieux devant les mortels. Agissant ainsi de manière illégale et non officielle, ils ne pouvaient se permettre d’apparaître en grande pompe devant les mortels qui les invoquaient et les liaient à eux pour leur vœu ; sans cela, ils auraient été appréhendés par leurs supérieurs et sévèrement réprimandés.
Ainsi, le démon était bien apparu à Mike, avait même été assez énervé d’entendre l’invocation une bonne trentaine de fois, et il avait accepté avec soulagement de réaliser son vœu, pour pouvoir reprendre sa place dans les Légions. Han n’avait rien dit à Mike pour l’empêcher d’invoquer quelqu’un de manière efficace sans lui…ou peut-être pour le punir de le faire si il bravait son interdit. Son jeune disciple n’en saurait jamais rien, et Han évacuerait tranquillement son cadavre dans sa Collection personnelle, avec lui aussi le sentiment du travail bien fait et un petit sourire ironique sur le visage. Il y avait quand même des fois où il adorait ses loisirs.

PS : oui Deadpoule, il morfle bien lui aussi.
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